Maitrise de Frédéric Vincent

Introduction page 5

 

 Première partie : Le paysage de la seigneurie et la formation du réseau paroissial page 8

 Chapitre I : Description du milieu physique page 9

 

I .Nature des sols page 9

  1. Les molasses
  2. Calcaires de Castillon
  3. Alluvions page 11
 II . Le réseau hydrographique page 12
  1. Le Dropt page 13
  2. Le Dousset, la Dourdèze et le Malromé page 13
  3. Les petits ruisseaux page 14
III . L’orographie page 15
  1. Les altitudes page 15
  2. Position des villages et lignes de crête page 16

 Chapitre II : Les débuts du peuplement, du néolithique à l’ère mérovingienne page 17

I . L’occupation préhistorique et protohistorique page 17
  1. Le néolithique page 17
  2. L’âge du bronze page 18
  3. L’âge du fer page 19
II . La première structuration de l’espace : l’antiquité page 19
  • Les sites de villa page 20
  • Les autres témoignages d’habitats antiques page 21
    1. III . L’occupation mérovingienne page 22

      Chapitre III : La formation du réseau paroissial page 24

      I . Chronologie de la formation des paroisses page 24

      A. Deux foyers primitifs : Auriac et Anzas page 25

      B . Les paroisses probablement antérieures

      à l’An Mille page 27

    2. La dernière génération de paroisses page 30
    II . Deux problèmes d’existence paroissiale, St-Sulpice et Duras

    page 34

    A. St-Sulpice, fille de Baleyssagues ? page 34

    B. Duras, paroisse castrale ? page 35

     

    Deuxième partie : La seigneurie de Duras et ses seigneurs, XIIe-XVe siècle page 38

    Chapitre I : La création de la seigneurie de Duras page 39

    I . La création d’un nouveau point fort : Duras page 39

    A. La situation avant la création de Duras page 39

    B. La fondation du château de Duras page 40

    C. L’organisation du bourg de Duras page 43

    D. La recherche de points stratégiques : les mottes page 44

    II . La naissance de la seigneurie de Duras page 47

    A. La première mention d’un seigneur de Duras page 47

    A. Les accords entre les seigneurs de Duras et le prieuré de La Réole page 48

    Chapitre II : Bouville et Got : la première élévation du nom de Duras page 49

    I . La fixation d’une dynastie seigneuriale à Duras : les Bouville page 49

    A. Généalogie des Bouville, seigneur de Duras page 50

    B. Les spécificités de " l’ère " Bouville page 53

    II . La famille de Got et Duras : un maillon de leur puissance page 57

    A. Généalogie des Got, seigneur de Duras page 58

    B. L’œuvre des Got page 60

    La transmission de la seigneurie de Duras des Got aux Durfort page 62

     

     

    Chapitre III : Les Durfort : cinq siècles de rayonnement page 64

    I . Les frères fondateurs : Aymeric et Gaillard Ier page 64

    A. Aymeric de Durfort : la carte française ? page 65

    B. Gaillard Ier, l’Archidiacre page 66

    II . Gaillard II et Gaillard III : deux sénéchaux au service du roi-duc page 68

    A. Gaillard II : un sénéchal gascon page 69

    B. Gaillard III : le début du déclin page 73

    III . Gaillard IV, dernier du nom, dernier serviteur de la cause anglaise page 74

    A. La fin de la guerre de Cent Ans page 75

    1. La carrière diplomatique de premier ordre du " proscrit "page 76

    C. La fin de l’exil page 77

     

    Troisième partie : Vie quotidienne en Duraquois et reconstruction à l’aube de l’époque moderne page 80

     

    Chapitre I : Activités et vitalité paroissiales page 81

    I . Métiers en Duraquois page 81

    A. L’agriculture : l’activité fondamentale page 81

    B. Les autres activités page 82

     

    II . Vitalité des paroisses page 84

     

    A. Les levées du Don Gratuit en Bazadais page 84

    1. Répartition de la population dans les paroisses agenaises page 85

     

    III . Repeuplement et reconstruction à la fin du Moyen Age page 86

    A. Réoccupation des sols page 86

    B. Reconstruction des églises page 87

     

    Chapitre II : Vie religieuse et dévotions populaires page 88

    I . L’église et son curé page 88

    A. Un exemple de curé scandaleux page 88

    B. Le vocable des églises page 89

    II . Les prieurés page 89

    A. Le prieuré de Duras page 90

    B. Les trois autres prieurés page 91

    III . Les dévotions populaires page 91

    A. Les chapelles page 92

    B. Confréries et fêtes votives page 93

     

    #Conclusion page 95

     

     

     

    INTRODUCTION

     

     

    Une enfance et une adolescence passées à l’ombre de la masse du château de Duras sont en partie à l’origine de l’intérêt que nous portons à l’histoire en général, médiévale en particulier. Etudiée pour le XVIIIe siècle par Pierre Ferrari, la seigneurie de Duras a bien fait l’objet de quelques travaux ponctuels pour le Moyen Age, mais jamais d’un ouvrage qui lui était intégralement consacré. C’est donc humblement que nous avons tenté de reconstituer l’histoire de cette époque, aidé par la complicité de nombreux duraquois, curieux eux aussi d’en savoir plus sur le passé de leur campagne et de leur bourg.

     

    Située à l’extrême nord du département du Lot-et-Garonne, à la frontière de celui de la Gironde et à proximité de celui de la Dordogne, la seigneurie de Duras apparaît encore aujourd’hui en situation de carrefour. Comprise dans l’actuel canton de Duras, ce dernier étant un peu plus étendu que la seigneurie, l’espace de la seigneurie a vu des hommes présents dès le paléolithique. C’est cependant à l’époque gallo-romaine que cette partie des bords du Dropt connaît sa première mise en valeur. C’est à la fin de cette période que la christianisation réussit à pénétrer cet espace, et a jeter les bases de la formation du réseau paroissial. Etendue sur sept à huit siècles, la structuration du territoire s’est achevée aux alentours du début du XIIe siècle, l’espace de la future seigneurie s’étendait alors sur deux diocèses. Celui de Bazas à l’ouest, comprenant quatre paroisses, Anzas, Ste-Colombe, Esclottes et Baleyssagues, incluses dans l’archiprêtré de Juilhac ; et celui d’Agen à l’est, avec sept paroisses, St-Eyrard, Ste-Foy-la-Petite, Auriac, St-Front, Savignac, Lubersac et St-Sernin, comprises dans l’archiprêtré de Bezaume, rebaptisé par la suite archiprêtré de Ste-Foy-la-Grande. La seigneurie de Duras comprenait donc onze paroisses au XVIIe siècle, quand une description complète en est faite par son seigneur, Guy-Alphonse de Durfort : " premièrement, dit ledit seigneur de Duras, qu’il tient, jouit, possède, comme ses autheurs (sic) ont joui et possédé ladite terre, seigneurie et marquisat de Duras, size et située dans la sénéchaussée de Guienne, Bazadois, consistant en la terre de Duras, close, fermée, enceinte de murailles, fossés avec deux ponts-levis à un bout d’icelle, le château avec donjons, tours, flanc, girouette, entouré de fossés, ponts-levis, et en dix (sic) paroisses, dont la première, la paroisse de Saint-Ayrard, Ladusienne, Sainte-Foy-la-Petite, Auriac, Saint-Fron (sic), Saint-Sernin, Lubersac, Savignac, Baleyssagues, Sainte-Colombe, Les Clottes et Azais, toute laquelle jurisdiction en son entier confronte du levant aux terres et seigneuries de Pardailhan, Malleroumex, Puissegur ; du midy à my fleuve du Drot, faisant séparation de la terre et jurisdiction de Moulon, Lévignac, Taillecabat, Monségur, les moullins que ledit seigneur dénombrant a sur ladite rivière étant dans l’étendue dudit marquizat de Duras du couchant aux terres et jurisdictions de Saint-Ferme et Pellegrue, et du nord à la terre et baronnie de Landerouat, appartenant audit seigneur dénombrant, jurisdiction de Sainte-Foy et Puissegur, dans laquelle jurisdiction de Duras ledit seigneur marquis de Duras a droit de justice haute, moyenne et basse et mixte, impère, droit de greffe et de sceau, amandes, prévôté, baylerie et jaulage, droit d’espave, péage, boucherie, foires au nombre de quatre l’année, marché une fois par la semaine, plassages, minages, droit de faire et créer six offices de notaire sous le sceau dans l’étendue de ladite jurisdiction, hommages sur les vassaux, cens, rentes, foncières et directes, droit de prélation, acapte, chapons, poulles (sic), agrières, deux moulins banaux à quatre moulange sur ladite rivière Drot, pressoir à vin et à huile, fours à cuire pain banaux, deux garennes, quatre météries, parc, prés, bois, vignes, avec droit de corvée d’hommes et bestiaux, quand besoin il en aura, avec le passage au travers de la rivière du Drot dans l’étendue de ladite jurisdiction ".

    Au XVIIe siècle, le seigneur de Duras est donc à la tête d’un espace parfaitement organisé où il est à la fois seigneur foncier et banal. Cependant, ce résultat est le fruit de cinq siècles d’histoire, où les seigneurs de Duras ont dû se battre continuellement, d’abord pour fonder cette seigneurie, mais aussi pour s’imposer comme de puissants seigneurs aquitains. Pendant ce temps là, le peuple duraquois travaillait sa terre, redoutant les chevauchées, les épidémies et les intempéries, et trouvant une sociabilité dans le cadre paroissial et celui de l’église.

     

    Ce sont ces trois thèmes de la formation du réseau paroissial, de l’histoire de la seigneurie de Duras et de ses seigneurs, et de la vie quotidienne des paysans duraquois que nous allons tenter d’aborder. Bien sûr les moyens dont nous disposons sont inégaux. C’est essentiellement à partir de l’observation du milieu naturel, de l’étude des découvertes archéologiques et de quelques rares documents écrits que nous allons pouvoir proposer une chronologie de la structuration du réseau paroissial. L’étude " politique " de la seigneurie et de ses seigneurs est, elle, facilitée par la multitude des documents médiévaux concernant les trois familles qui se sont succédées à la tête de Duras : Bouville, Got et Durfort. Pour cette dernière famille, qui a présidé aux destinées de la seigneurie du XIVe au XVIIIe siècle, l’ouvrage de Nicole de PeÔ a, regroupant tous les textes du Moyen Age relatifs aux Durfort, est un outil précieux. Les simples habitants de la seigneurie n’ont laissé pratiquement aucune trace dans les documents médiévaux. Il faut donc chercher d’autres ouvertures, prenant souvent la forme de textes plus tardifs ; on procède alors par rapprochements probables.

     

    Nous débutons donc notre périple duraquois par l’étude de la formation du réseau paroissial, base de l’organisation médiévale.

     

    Première partie :

     

    Le paysage de la seigneurie et la formation du réseau paroissial

    Chapitre I : Description du milieu physique

     

     

    I – Nature des sols

    Deux structures principales alternent sur cette partie de la rive droite de la vallée du Dropt : les molasses et les plateaux calcaires ; les alluvions, modernes ou anciennes, se cantonnant aux abords directs du Dropt et de ses affluents.

     

    A – Les molasses

    Trois types de molasses coexistent dans la seigneurie de Duras : un faciès molassique de l’éocène supérieur, situé entre les alluvions des rivières et la molasse du Fronsadais du sannoisien inférieur ; la troisième catégorie correspondant aux molasses de l’Agenais du stampien, plus éloignées du réseau hydrographique et entourées de calcaire à astéries.

     

    1 – Faciès molassique et molasse du Fronsadais

     

    Constituant une auréole assez étroite autour des ruisseaux, ces terres lourdes appelées " terrefort " par Louis Papy sont " difficiles à travailler, du fait aussi de leur pente : le sol des terreforts retient l’humidité dans les bas-fonds ". Ces zones auraient donc dû être assez répulsives mais de nombreux villages se sont développés sur ces terroirs : Ste-Foy-la-Petite, St-Eyrard, Savignac et Ste-Colombe sur le faciès molassique ; Baleyssagues, Esclottes et Anzas sur la molasse du Fronsadais. Il faut donc sûrement établir une distinction entre les molasses en fonction de leur nature : le faciès molassique n’a qu’une épaisseur limitée qui rend les terres moins lourdes alors que la molasse du Fronsadais, bien drainée par un réseau de ruisseaux dense a pu accueillir sans trop de difficultés des cultures telles que les céréales ou les arbres fruitiers. Cependant, il a d’abord fallu défricher ces terrains occupés par les vastes bois du Dropt. L’exemple de la fondation d’Esclottes nous montre à la fois la nécessité de défricher ces terres mais aussi les cultures ou élevages pratiqués sur ce genre de terrain. qui nous informe sur ces sujets. Un certain Amancuus donne " dos mansos de terra in Escolt " en 1076 à l’abbaye de Conques. Le toponyme " Escolt " pourrait provenir, selon Lucien Massip, de l’association de " holt " qui signifie  " bois " en saxon et " eiche " (chêne) ou " esche " (frêne) dans la même langue. Pour ce qui concerne les cultures, nous sommes mieux renseigné par le cartulaire grâce aux dîmes prélevées sur l’église nouvellement créée : la dîme porte sur des moutons (" multones "), ce qui démontre la part laissée aux " pâturages ", ou du moins aux espaces en friche ou même pas encore défrichés, des pains (panes), d’où la culture de céréales panifiables, et sur de l’avoine (" civada "), ce qui laisse entrevoir la nourriture donnée aux animaux.

    Ces terres molassiques supportent donc un large panel de cultures et d’élevage extensif, et ont pu accueillir de nombreux villages, alors que ce n’est pas le cas pour la molasse de l’Agenais.

     

    2 – Molasse de l’Agenais

     

    Entouré de toutes parts de calcaire à astéries, ce terroir correspond mieux au " terrefort " défini précédemment. Occupant en général le haut des collines, la molasse de l’Agenais est souvent couverte de forêts quand elle est sableuse, mais peut supporter des vignobles quand elle est argileuse. En effet la carte de Belleyme figure au nord de Savignac la " forêt de Landeroy " jouxtée d’un vignoble sur un substrat de molasse de l’Agenais, ainsi qu’au nord de St-Front la " forêt de St-Front " sur le même type de terrain. Cependant la culture de la vigne a dû être assez tardive dans ces régions, de même certainement que les défrichements puisque aucun village ne s’est agrégé sur ces terres trop lourdes et trop difficiles à cultiver.

    Ce terroir est donc répulsif et n’a pu être mis en valeur qu’en dernier recours, après la mise en culture des plateaux calcaires.

     

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    B – Calcaires de Castillon et calcaires à astéries

     

    Enclavés entre les molasses du Fronsadais et celles de l’Agenais, deux types de calcaire alternent.

     

    1 – Le calcaire de Castillon

     

    Moins épais que le calcaire à astéries, il supporte un assez vaste panel de cultures, allant des vignes ou des céréales aux fourrages et aux arbres fruitiers. On ne peut pas pour autant affirmer que ces zones ont été très attractives au début du Moyen Age puisque les villages qui les ont choisies pour s’implanter sont assez éloignés du Dropt et ont donc dû défricher la forêt. Ces villages sont Lubersac, St-Sernin, St-Front ou encore Ste-Croix des Aigrons, minuscule paroisse au nord-est de Savignac . Apparaissent donc une grande majorité d’hagiotoponymes, ce qui n’est pas un signe d’ancienneté. D’autre part, la Liste des juridictions de l’élection d’Agen, établie en 1759-1760, parle du sol de la seigneurie de Duras : " les terres y sont en général médiocres. Dans les paroisses de St-Front et Lubersac le fond y est si mauvais que partie est en friche. ". Les deux paroisses mentionnées correspondent donc à des terroirs calcaires, même s’il est vrai que pour ces paroisses il n’y a pas d’uniformité des sols et que cette citation correspond peut-être au calcaire à astéries, également présent sur ces deux territoires.

     

    2 – Le calcaire à astéries

     

    Constituant le haut des collines quand la molasse de l’Agenais est absente, ce calcaire, même s’il peut supporter la culture de la vigne et des céréales, n’a d’évidence pas été très attractif, du fait de la relative pauvreté de ses sols mais peut-être plus encore des difficultés d’accès et de culture de ses pentes parfois abruptes. L’illustration la plus évidente de ce phénomène nous est donnée par l’implantation du site de Duras sur ce plateau calcaire de ce style dans la première moitié du XII siècle. L’élément décisif n’a pas été la richesse du sol mais la situation d’éperon rocheux bien protégé par les pentes, surtout dans sa partie faisant face au Dropt. Avant la création de Duras, aucun village ne s’était installé sur ce site, et nulle part dans la seigneurie nous ne trouvons de paroisse ayant son chef-lieu sur une base de calcaire à astéries. Il faut aller au nord de Lubersac et de St-Sernin pour trouver un exemple, Villeneuve-de-Puychagut, mais une fois de plus le toponyme n’indique pas l’ancienneté, comme le confirme l’absence de vestiges gallo-romains.

    Le calcaire à astéries a donc été encore moins attractif que celui du Fronsadais, et nous avons vu que les molasses pouvaient être difficiles à mettre en valeur si elles étaient trop épaisses. Il existe une troisième grande catégorie de sol, minoritaire dans la seigneurie de Duras : les terres alluviales.

     

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    C – Les alluvions

    On peut distinguer deux types d’alluvions : les modernes et les anciennes.

     

    1 – Les alluvions modernes

     

    Ces alluvions modernes correspondent aux abords directs du réseau hydrographique principal de la seigneurie de Duras. Ainsi nous avons des dépôts de part et d’autre du Dropt, du Dousset, de la Dourdèze et du Malromé. Les terres sont marécageuses puisqu’elles correspondent au lit majeur des rivières, et ces tourbières apparaissent nettement autour du Dropt sur la carte de Belleyme. Il ne peut donc pas y avoir de cultures, du moins sans aménagement particulier.

    Si les alluvions modernes sont systématiquement présentes autour des axes principaux, ce n’est pas le cas des alluvions anciens.

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    2 – Les alluvions anciens

     

    Il n’existe qu’un site d’alluvions anciennes dans le cadre de la seigneurie de Duras et il est situé à son extrême sud-est, dans la paroisse d’Auriac. Ces alluvions continuent de s’étendre sur la paroisse de Pardaillan, alors que du côté sud-ouest nous les découvrons au sud de Dieulivol.

    A Auriac, les alluvions se présentent sous la forme d’une terrasse alluviale qui surplombe le Dropt à une altitude de 52 m. Cette terrasse est entourée sur trois côtés par des cours d’eau : le Dropt au sud, le Malromé à l’est et un petit affluent du Dropt à l’ouest. Ce terrain, bien égoutté, à l’abri des crues du Dropt, aux terres fertiles et accueillant le village d’Auriac offre beaucoup d’indices d’occupation ancienne, peut-être le site primitif de toute la seigneurie de Duras.

     

    Nous avons déjà évoqué le réseau hydrographique dans ce paragraphe, mais analysons avec plus de minutie le Dropt et ses affluents afin d’essayer de percevoir leur rôle dans l’implantation de l’habitat et le finage des paroisses.

     

     

     

    II – Le réseau hydrographique

     

    L’élément majeur de ce réseau est, bien sûr, le Dropt qui définit la limite sud de la seigneurie. Trois de ses affluents, le Dousset, la Dourdèze et le Malromé, se détachent de ses autres affluents de la rive droite, alors qu’une série de petits ruisseaux vient compléter le réseau hydrographique.

     

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    A – Le Dropt

     

    Le premier problème posé par cette rivière est son orthographe. De nombreuses personnes s’étant déjà posé cette question, notamment Robert Chadelle et Dominique Barraud, nous pouvons en conclure que la forme primitive ne comprenait pas de " p " alors qu’il est désormais usuel de l’inclure. Ainsi nous avons fait le choix arbitraire d’intégrer ce " p " ; suivant l’usage actuel le plus répandu.

    Le Dropt s’écoule sur environ 130 km, prenant sa source en Dordogne vers Monpazier et rejoignant la Garonne en Gironde entre Casseuil et Caudrot. D’un débit assez réduit, il peut connaître d’importante crues, d’où le peu d’habitations proches, exceptés les moulins. Parfois sinueux, il constitue cependant une limite assez rectiligne à la seigneurie de Duras. Ainsi les paroisses de Baleyssagues, St-Eyrard, Ste-Foy et Auriac ont une limite sud qui épouse la rivière.

    Le Dropt était certainement difficilement navigable, du fait de sa relative étroitesse mais surtout de son débit très irrégulier. Ainsi, au XIX siècle, a-t-on eu l’idée de le canaliser. Mais une preuve plus flagrante du désintérêt de cette rivière au profit des voies terrestres vient peut-être de la liste des juridictions de l’élection d’Agen pour 1759-1760. On peut y lire : " le principal revenu de cette communauté est en vin, dont partie se convertit en l’audevie (sic) ; on y fait aussi des vins de primeur qu’on embarque à Ste-Foy en Dordogne ". Ainsi, on a abandonné l’idée de rejoindre la Garonne par le Dropt au profit des chemins menant à la Dordogne, cette dernière étant plus proche que la Garonne.

    Ayant favorisé l’implantation des premiers occupants, le Dropt n’est sûrement pas devenu un grand axe de communication et de commerce. Son rôle, bien plus modeste, de limite, comme pour certains de ses affluents, est par contre incontestable. Si le Dropt sépare les seigneuries, ses affluents délimitent souvent les paroisses.

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    B – Le Dousset, la Dourdèze et le Malromé

     

    Avant de s’intéresser à ces trois ruisseaux, il faut d’abord citer le ruisseau de la Lane qui prend sa source à Vignolles et se jette dans le Dropt à la limite ouest de Dieulivol. En effet, sur quelques dizaines de mètres, ce ruisseau sert de limite à l’extrême ouest de la seigneurie, à hauteur d’Anzas.

    Parmi les ruisseaux plus intégrés dans la seigneurie, nous avons à l’ouest le Dousset qui s’écoule selon un axe nord-sud. Prenant sa source entre les paroisses de Landerrouat et de La Reyre au nord d’Esclottes, il se jette dans le Dropt au sud-ouest de Baleyssagues. Il constitue la limite de seigneurie entre Baleyssagues et Dieulivol, ainsi qu’entre Esclottes et La Reyre. C’est aussi son cours qui sépare Ste-Colombe de Baleyssagues. On peut remarquer que la limite la plus au nord de la seigneurie, qui sépare cette dernière de Landerrouat, est la continuité virtuelle d’un petit affluent du Dousset qui va se perdre dans la forêt de Landerrouat. Nous avons sûrement un exemple de frontière assez floue à l’origine, traversant des espaces pas encore mis en valeur, qu’on a voulu fixer à un élément immuable, aussi réduit soit-il.

    La Dourdèze, qui partage la seigneurie en deux partie sensiblement égales, est un ruisseau bien plus important. Pouvant largement déborder de son lit comme le figure la carte de Belleyme, cette petite rivière a trois sources principales et rejoint le Dropt entre St-Eyrard et Baleyssagues. Elle a servi de limite à de nombreuses paroisses ainsi qu’aux deux diocèses de Bazas à l’ouest et d’Agen à l’est. Cette limite diocésaine est cependant très peu étendue puisqu’elle ne concerne que l’est de Baleyssagues, et pas sur toute sa longueur. Par contre , la Dourdèze sépare Savignac de St-Eyrard, et occupe toute la ligne est du triangle que forme Lubersac, séparant cette paroisse de St-Eyrard et de St-Sernin. Pour St-Sernin toujours, la Dourdèze le sépare au nord de Villeneuve-de-Puychagut, St-Astier et St-Nazaire.

    Le Malromé, enfin, qui prend sa source dans sa paroisse éponyme au nord-est de St Front, et se jette dans le Dropt au sud-est d’Auriac, est le pendant est du Dousset. Délimitant la seigneurie de Duras par l’intermédiaire d’Auriac, de celle de Pardaillan, le Dousset s’éloigne ensuite du Duraquois.

    A côté de ses trois ruisseaux, d’autres encore plus petits, affluents des premiers, servent également de limite.

     

     

    C – Les petits ruisseaux

     

    Trop insignifiants pour avoir leur nom cartographié, ces entités ont tout de même leur importance.

    Certains ruisselets se jettent directement dans le Dropt. Ainsi Auriac et Ste-Foy sont séparés par un de ces affluents. De même, en l’absence de limite connue entre Ste-Foy et St-Eyrard, nous pouvons imaginer que le ruisseau situé à l’est de St Eyrard a servi de séparation puisque nous avons ainsi deux ensembles cohérents. De plus, aucune ligne de crête importante ne se détache.

    La Dourdèze est rejointe par de nombreux petits cours d’eau. Nous avons un exemple à l’est de Savignac avec le ruisseau de Canterane qui marque la limite avec Lubersac, Ste-Croix des Aigrons et Riocaud. Quant au Malromé, un de ses affluents qui prend sa source au nord de St-Front marque une limite avec Auriac. Concernant toujours St-Front et le Malromé, un autre affluent démarque cette paroisse de celle de Pardaillan.

     

    Ainsi, beaucoup de limites sont constituées par les cours d’eau. Celles qui échappent à cette règle s’appuient le plus souvent les lignes de crête, d’où l’intérêt d’étudier l’orographie de la seigneurie de Duras.

     

     

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    III – L’orographie

     

    C’est une fois de plus la liste des juridictions de l’élection d’Agenqui nous montre ce que pouvait représenter le pays de Duras pour les contemporains de l’Ancien Régime : " cette petite ville […] est dans un pays de montagne ". Plus que par des records d’altitude, l’orographie de la seigneurie se caractérise par ses variations dues aux nombreuses collines aux pentes parfois douces mais le plus souvent abruptes, surtout quand nous nous situons sur les limites des substrats calcaires.

     

     

    A – Les altitudes

     

    Le réseau hydrographique assez dense a donc dégagé un grand nombre de collines et de plateaux calcaires qui, comme le dit si bien Pierre Desfontaines, " se perdent à l’infini les uns derrières les autres comme le clapotis d’un lac ". Cependant l’érosion n’a pas eu la même force selon la nature des sols et nous alternons entre les collines rondes aux abords aisés et les plateaux escarpés quasi impossibles d’accès.

    L’exemple le plus marquant de ces ruptures brutales des hauteurs est donné par le site de Duras. Alors que le point le plus bas de la seigneurie se situe au confluent de la Dourdèze et du Dropt à 35 m, à la limite des paroisses de Baleyssagues et St Eyrard, le point le plus haut n’est situé qu’à quelques centaines de mètres du point le plus bas, au niveau de la ville de Duras, et ce " sommet " s’élève à 109 m.

    Hormis Duras pour qui le choix de ce site difficile d’accès est stratégique, les autres villages et les habitations en général ont fui les sites trop escarpés et ont plutôt choisi des emplacements à mi-pente, accessibles et bien drainés.

     

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    B – Position des villages et lignes de crête

     

    Après Duras, c’est St-Sernin qui s’élève le plus haut à 92 m, occupant le bord d’un plateau calcaire. C’est également le cas pour Lubersac et St-Front, cette dernière paroisse se trouvant à 82 m. Auriac, comme nous l’avons vu, est situé sur une terrasse alluviale qui " culmine " à 52 m. Pour les sept autres villages, nous avons donc des sites à mi-pente.

    Mais les altitudes ont aussi servi à délimiter les finages paroissiaux, parfois au détriment des ruisseaux pourtant très proches. C’est le cas pour pratiquement toute la limite ouest de la seigneurie, où les lignes d’altitude ont presque toujours été préférées au Dousset au niveau d’Esclottes. De même, la limite diocésaine entre Esclottes toujours et Savignac est du même type. Nous retrouvons le même phénomène au nord-ouest de St-Front et des deux côtés de l’excroissance de St-Eyrard au-delà de la Dourdèze.

     

     

     

    La nature des sols et le paysage de la seigneurie de Duras sont donc assez variés et de ce fait inégalement attractifs. Une fois ces données posées, nous pouvons apprécier avec plus de justesse les premiers choix d’occupation du sol, des mises en valeur originelles dès le néolithique aux témoignages du Haut Moyen Age.

     

    Chapitre II – Les débuts du peuplement, du néolithique à l’ère mérovingienne

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    Pour mieux comprendre les choix médiévaux de l’occupation du sol, il est nécessaire de s’intéresser à la colonisation antérieure afin de déceler la continuité éventuelle de la mise en valeur. La seigneurie de Duras n’ayant connue que des fouilles très réduites, la plupart des découvertes ayant été fortuites et datant pour la majorité du XIXe siècle, le répertoire archéologique est forcément incomplet. Cependant, nous avons une impressions de densité d’occupation antique suffisante pour tirer quelques conclusions. La majorité des informations utilisées provenant de la Carte archéologique de la Gaule, nous n’avons annoté pour ce chapitre que les indications issues de sources autres.

     

    Bien que les premières peuplades nomades qui passèrent par les bords du Dropt n’eurent que peu d’impact sur la mise en valeur du sol, quelques éléments montrent que de tous temps des hommes vécurent dans ce pays.

     

     

     

    I – L’occupation préhistorique et protohistorique

     

    Les hommes du Paléolithique se contentant de subir leur environnement sans avoir les moyens de l’organiser, nous ne parlerons pas de cette ère qui n’a eu aucune incidence sur le peuplement médiéval. Par contre, au néolithique, des hommes sont capables de créer leur habitat et d’avoir une vie sociale, et c’est par cette période que nous débutons la rétrospective de l’occupation du sol.

     

     

    A – Le néolithique

     

    La principale découverte montrant des traces de l’occupation néolithique provient du site d’Anzas où ont été découverts une vingtaine de silex et de la céramique provenant d’un fond de cabane. Ce petit coteau bien égoutté a donc été attractif très tôt.

    Les autres sites présumés néolithiques n’ont pas cette clarté et posent des problèmes d’occupation initiale. Les découvertes isolées de haches polies ne permettant pas la reconstitution de cette période d’occupation qui s’étale en France du V au II millénaire, nous ne pouvons tirer de réelles conclusions si ce n’est que les bords du Dropt était déjà occupés.

    Nous retrouvons sensiblement le même problème avec l’âge du bronze.

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    B – L’âge du bronze

     

    Pour cette période qui s’étend traditionnellement de 1800 à 750 avant J.-C., nous avons quelques sites répertoriés. Une fois de plus c’est de celui d’Anzas que nous vient l’exemple le plus révélateur de l’occupation du sol à cette époque, cet emplacement étant le seul à avoir été fouillé assez récemment. Ainsi de nombreux fragments d’objets en bronze (quatorze identifiés par MM. Barraud et Boireau et seize non ) ont été retrouvés, ce qui montre au mieux une continuation de l’occupation depuis le néolithique, ou une réutilisation de ce site.

    Sur la paroisse de Savignac, sans précision de localisation, des haches en bronze ont été mises au jour. Nous sommes sur la rive droite de la Dourdèze mais bien plus enfoncé dans le bois du Gard. Peut-être ces haches ont-elles été découvertes non loin de la motte de Savignac, longtemps considérée comme un tumulus malgré sa taille impressionnante (53 m de long sur 40 m de large selon Drouyn, haute de 10 m et d’une circonférence de 260 m selon le fonds Momméja). Cette confusion s’applique d’ailleurs au XIXe siècle pour presque toutes les mottes de la seigneurie. La motte de Savignac a donc été partiellement fouillée au XIXe siècle et on y a trouvé notamment une longue hache en silex poli. D’autre part, de l’autre côté du ruisseau " la canterane ", dans la paroisse de Riocaud, il existe un hameau appelé " Peyre de Viremejour " où il y avait une " grosse pierre druidique " et une ferme appelée " Ferme des trois pierres ". Nous avons donc sûrement ici un habitat protohistorique auquel la motte a pu s’agréger plus tard, la hache en pierre ne se trouvant peut-être ici qu’à cause de la terre rapportée pour édifier la motte.

    L’Age du fer a fait naître de nombreux fantasmes chez les érudits du XIXe siècle et du début du XXe siècle, en particulier s’agissant des celtes. Nous nous contenterons de signaler les éléments pouvant relever de l’âge du fer, sans nous engager dans une controverse à propos notamment de présumés tumuli.

     

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    C – L’âge du fer

     

    C’est toujours le site d’Anzas qui révèle des traces de cette période grâce au mobilier recueilli. Ce dernier daterait du deuxième Age du fer, vers 450 av. J.-C. (la Tène). Les autres éléments se rapportant à cette ère n’ont pas une telle précision.

    Il existe à St-Sernin un éperon barré d’un fossé de 12 m de large et de 30 m de long, creusé dans le rocher, qui l’isole totalement du coteau. Portant le nom de Castelgaillard, il surplombe la petite vallée de la Lègue, affluent de la Dourdèze. Une fois de plus on s’éloigne des abords directs du Dropt pour ce site éminemment militaire. Si l’abbé Borredon le voulait gaulois, M. Tholin l’affirmait celtique, tous deux prétextant un tumulus tout proche sur les bords de la Dourdèze. Ce dernier n’a pas été fouillé et M. Fages y voit plutôt une motte médiévale (4 m de haut et 140 m de circonférence). L’éperon n’ayant pas été fouillé non plus et sûrement plusieurs fois réutilisé au fil des siècles, nous ne pouvons dater cette " forteresse " dont la technique de construction est connue dès le Néolithique.

    La présence gauloise est quant à elle certaine grâce à la découverte de monnaies d’argent, frustres, légèrement concaves, avec tête humaine au droit et cheval au revers ; mais la localisation manque de précision. En effet, la mise au jour des pièces date des alentours de 1840 et nous savons seulement qu’elles se trouvaient dans un tertre de la commune de Duras ; or cette commune recouvre les deux anciennes paroisses de St-Eyrard et de Ste-Foy.

     

    Chaque grande période protohistorique est donc plus ou moins représentée dans l’espace de la seigneurie de Duras, le seul indicateur étant l’archéologie. C’est également avec la toponymie que l’on peut appréhender l’occupation gallo-romaine, qui bien sûr a laissé beaucoup plus de traces que les précédentes.

     

     

     

    II – La première structuration de l’espace : l’antiquité

     

    Si les fouilles ont été très rares, les découvertes ont cependant été très nombreuses, à tel point que mises sur une même carte, elles forment un réseau extrêmement dense. Cependant, on ne peut imaginer que toutes les structures aient coexisté en même temps, et on ne peut pas non plus assimiler à des villae toutes les découvertes. Nous ferons donc une distinction entre ce qui, aux yeux du mobilier recueilli, semble correspondre à une villa, et ce qui ne peut être qu’un habitat antique plus modeste.

     

     

    A – Les sites de villa

     

    Selon la Carte archéologique de la Gaule, pas moins de six sites de villa se seraient succédé dans les paroisses d’Anzas, Esclottes, Baleyssagues, Savignac, Ste Foy-la-Petite et Auriac. Les éléments communs à tous ces sites sont des débris de marbre, de tegulae, de céramiques communes et sigillée, des monnaies ou encore des fragments de statue comme à Auriac. Sur ces six sites, deux seulement ont été étudiés avec assez de précision : Anzas et Auriac.

    Anzas, toujours attractif nous donne la preuve que les villae ne sont pas toujours pérennes puisque deux villae se sont succédé : la première a été établie dès le Ier siècle ap. J-C. et la deuxième dans les ruines de la première au Ve siècle. A Auriac, les ruines ne sont pas exactement sous le village mais à quelques dizaines de mètres au sud-ouest. Occupant une surface de 500 m sur 200 m, la villa a pu être datée du IVe siècle grâce à la fouille d’une fosse dépotoir. Cependant, elle pouvait très bien avoir été occupée avant, seule cette fosse ayant été datée. C’est cette villa qui semblait être la plus luxueuse des environs puisque ont été retrouvés des morceaux de chapiteaux corinthiens en marbre blanc, des colonnes de marbre gris (désormais utilisées pour décorer le baptistère) et des mosaïques (recouvertes dès le XIXe siècle). Les deux sites d’Anzas et d’Auriac semblent être les deux originels, les autres emplacements nous feraient plutôt penser à des sites de fronts pionniers à l’intérieur des bois du Dropt, apparemment nombreux mais résultant du déplacement de ses occupants de quelques centaines de mètres.

    Ainsi nous avons en remontant le Doucet deux villae : une à Baleyssagues, à la limite avec Esclottes, et une justement dans la paroisse prédite. Celle de Baleyssagues , qui date du Haut Empire, résulte peut-être du premier abandon de celle d’Anzas. Quant à celle d’Esclottes, vue sa position très rapprochée, elle n’est certainement pas contemporaine de la précédente, à moins qu’elle ne soit pas vraiment une villa mais une annexe de celle placée un peu plus au sud (tout comme ce pourrait être l’inverse).

    La villa de Ste-Foy offre une situation un peu similaire à celle de Baleyssagues, du moins en ce qui concerne la distance avec la villa principale, ici celle d’Auriac. On a trouvé outre des tuiles à rebord et des fragments de colonnes de marbre des monnaies dont une d’Agrippa, mort en 12 av. J-C. Comme nous ne connaissons pas la durée de cours d’une monnaie à cette époque sur les rives du Dropt, nous ne pouvons pas formellement affirmer que la villa s’est formée au Ier siècle, comme celle d’Anzas. Cependant, une origine ancienne puis un abandon précoce pourraient expliquer pourquoi la paroisse n’a pas de toponyme gallo-romain malgré une villa à proximité du village.

    La dernière villa, celle de Savignac, est la plus éloignée du Dropt. On s’attendrait donc à ce qu’elle soit assez tardive, mais un lot de quatorze sesterces découverts à proximité comprenant une majorité de pièces du IIe siècle, nous fait nuancer cette impression. Des débris de surface s’étalent sur 2 km, certainement à cause des remaniements postérieurs du terrain. Nous avons certainement encore ici un point de peuplement et de culture perdu dans la forêt, peut-être situé sur les bords d’un chemin réutilisé par la suite et que l’on peut voir sur la carte de Belleyme. Bien sûr, il ne partait pas de Duras, mais nous retrouvons sa trace au nord de Savignac, à côté de la motte dont nous avons déjà parlé. Ainsi, dans le texte du fonds Momméja, on peut lire : " on a découvert sous le sol, à une grande profondeur, à 50 m au nord du dit tumulus, et à 400 m au nord-est, des chaussées pavées en petites pierres non taillées faisant une seule couche ". D’autre part, on voit très bien sur la carte de Belleyme que la route venant de Dieulivol a été détournée vers Duras alors qu’elle devait à l’origine suivre la rive droite de la Dourdèze pour rejoindre la route de Savignac.

    A côté de ces grandes entités, une multitude d’autres plus petites ont été découvertes, soit par hasard, soit par l’intermédiaire de prospections aériennes.

     

     

    B – Les autres témoignages d’habitats antiques

     

    Ces habitats sont caractérisés par la découverte de tuiles, de céramique commune ou sigillée, de substructions, de monnaies... La différence avec les villae vient surtout de l’étendue du site, de l’absence de matériaux rares comme le marbre, ou de mosaïques. Comme nous l’avons dit plus haut, certains habitats peuvent être confondus avec des villae, mais l’inverse semble moins probable.

    Seize sites d’habitat antique peuvent être répertoriés : un à proximité de la villa d’Anzas et donc forcément en relation avec cette dernière, trois dans la paroisse de Baleyssagues éparpillés sur tout le territoire (peut-être des sortes de granges dépendant de la villa), trois également à Esclottes (un proche de la villa et un petit ensemble débordant sur la paroisse de La Reyre au nord), cinq dans la paroisse St-Eyrard, et un dans les paroisses de Lubersac, St-Sernin, Ste-Foy et Auriac.

    L’habitat le plus surprenant est celui de St-Sernin, au lieu-dit " Ste-Quitterie ". En effet, on trouve un site totalement isolé et perdu au milieu de la forêt. Outre des tuiles, de la céramique et du verre, on a découvert des scories qui peuvent évoquer des activités métallurgiques. Récemment, en 1997,non loin du site précédent, au lieu dit " Terre vieille ", des fragments de tuiles à rebord, de poteries de terre à gros grain ainsi qu’une amulette de pierre verte ouvragée ont été mis au jour. Ceci montrerait qu’il y avait bien disséminés par tous les bois du Dropt divers établissements parfois éphémères, dépendant des villae. Néanmoins, la paroisse St-Front n’a offert aucun vestige archéologique, ce qui montre qu’il restait toutefois des espaces vierges, du fait de la densité de la forêt ou de la trop grande pauvreté des sols.

     

    Bien que nous ne puissions pas reconstituer une chronologie de l’installation des villae et de leurs annexes, il est incontestable qu’il n’y a pas eu de rupture durable de l’occupation entre la protohistoire et l’ère gallo-romaine. Nous ne pouvons pas savoir quels sites étaient déjà abandonnés quand les Mérovingiens présidèrent aux destinées de la Gaule.

     

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    III – L’occupation mérovingienne

     

    Plus que par des restes d’habitat, c’est grâce aux nécropoles qu’on a pu reconnaître le passage de cette civilisation, même si à Savignac on a trouvé du mobilier mérovingien sans sépultures. Une fois de plus, nous devons établir une distinction : si les nécropoles d’au moins une dizaine de sarcophages sont une preuve indiscutable d’un habitat proche au Haut Moyen Age, des découvertes isolées avec un mobilier équivoque engagent à la prudence.

    Les sites de nécropoles mérovingiennes ont parfois réoccupé d’anciennes villae ou des habitats antiques, comme c’est le cas à Anzas, à St-Eyrard (mobilier des VIe et VIIe siècles), à Auriac et au nord d’Esclottes (" Meneguerre " et " Grand Pasti ") ; alors qu’au sud de Baleyssagues (" Bagnac " et " Mirathe ") et à quelques mètres de la villa de Ste-Foy on n’a découvert que quelques sarcophages.

    A Ste-Colombe, en face de l’église, dans un talus, quatre sépultures sphériques et en forme de cône tronquée ont été découvertes avant 1877. De 1,30 m de hauteur et 1,20m de largeur au maximum, les tombes contenaient des ossements non incinérés, et un cadavre était accroupi. Au XIXe siècle, on a voulu rattacher ces sépultures à l’Age du fer. Puis on a pensé voir des sépultures mérovingiennes mais on est sûrement en présence de tombes médiévales, d’autant qu’aucun habitat antérieur n’a été mis en évidence.

    Cependant, nous avons des exemples de nécropoles à l’écart des lieux d’habitation antérieur, comme c’est le cas au lieu dit " Fougassière ", que l’on désigne également par le toponyme " Peyrecave ", dans la paroisse St-Eyrard. Situé à 200 m du Dropt et à proximité de la Dourdèze, sur un petit plateau calcaire recouvert d’environ 1 m de terre, ce cimetière comprend trente cinq tombes orientées à l’est et recouvertes de tuiles à crochets. On y a découvert différents objets caractéristiques du Haut Moyen Age et, à 100 m à l’ouest, un four à poterie de la même époque. Delfostrier tire deux conclusions : " les centres de population recherchaient la plaine de préférence aux hauteurs ", et " les nécropoles étaient placées à l’est du Pagus, sur les points élevés, à base rocheuse autant que possible ". Cependant, l’habitat avéré le plus proche à l’ouest se situe à St-Eyrard, qui possède sa propre nécropole, ce qui montre les limites de cette étude pour comprendre la formation du réseau paroissial. En effet, la nécropole la plus vaste est située à l’écart de tout habitat plus ancien et n’a pas donné naissance à un village. Ceci démontre également que jusqu’au Moyen Age les populations ne se sont pas fixés définitivement autour de leurs morts, même après la diffusion de la religion chrétienne (puisque les tombes de la Fougassière sont orientées). Et on sait par ailleurs qu’avant le IX siècle, le lieu de culte n’est pas forcément situé à proximité du cimetière.

     

    Ponctuée de hiatus difficilement datables, l’occupation du sol de la seigneurie de Duras a toutefois été à peu près constante ; c’est sûrement la nature des sols qui ne devait pas permettre des cultures continues. Cependant, les abandons ne furent pas forcément définitifs comme le montrent les deux villae successives d’Anzas. A l’inverse, des sites n’ont pu être occupés que très ponctuellement comme la Fougassière. Des éléments propres au Moyen Age apparaissent donc pour comprendre la structuration du réseau paroissial qui, si elle est commencée dès l’antiquité tardive, est loin d’être terminée à la fin de l’époque mérovingienne.

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    Chapitre III – La formation du réseau paroissial

     

     

     

    Si l’archéologie peut s’avérer trompeuse quand elle ne permet pas de datation assez fine, elle est toutefois très utile combinée à d’autres techniques pour comprendre les grandes phases de la structuration paroissiale. Ainsi, grâce à l’apport de l’étude du milieu naturel, de la morphologie des paroisses et des textes quand ils existent, nous pouvons fixer un essai de chronologie de la formation des paroisses.

     

     

     

    I – Chronologie de la formation des paroisses

     

    On admet généralement quatre grandes étapes pour la formation du réseau paroissial. La première, qui peut remonter aux IVe et Ve siècle pour les régions françaises les plus anciennement christianisées, se termine au début du VIe siècle avec l’arrivée des Mérovingiens à la tête des institutions du Haut Moyen Age. On fait généralement se terminer la seconde génération aux alentours de l’an 900, quand la formation des paroisses est pratiquement achevée dans le nord de la France (alors que c’est loin d’être le cas dans le Sud-Ouest notamment). Débute alors la troisième génération qui occupe les IXe et Xe siècles et qui marque pratiquement la fin des créations de paroisses " spontanées ", d’initiative uniquement paysanne, puisque par la suite, dans ce qu’on appelle la quatrième génération, nous sommes souvent confrontés à des paroisses qui se créent en particulier autour de châteaux où suite à un don de terre à un ordre religieux. Cependant, même après l’An Mille, des paroisses de défrichement peuvent naître en suivant le même processus qu’aux siècles précédents, à savoir le besoin de cultiver de nouveaux sols pour nourrir une population croissante.

    Ceci dit, ce schéma n’est pas applicable partout, et il est peut-être plus intéressant pour des régions manquant de textes comme le Duraquois de se contenter de définir une chronologie probable. Si l’on peut deviner des paroisses de première génération grâce à des preuves d’occupation de longue durée lors de la période gallo-romaine et la concordance d’autres facteurs comme l’ancienneté du vocable, les deuxièmes et troisièmes générations, à savoir les

     

    plus productives, ne sont pas formellement identifiables puisque la présence de nécropoles mérovingiennes n’implique pas forcément la création de paroisse à cette époque.

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    A – Deux foyers primitifs : Auriac et Anzas

     

    Sur une surface aussi peu étendue que la seigneurie de Duras, nous ne pouvons pas nous attendre à un grand nombre de lieux de culte à la fin de l’antiquité. D’autre part, comme dans les autres régions, la christianisation part toujours des bords de fleuve pour ensuite pénétrer dans les arrière-pays ; nous pouvons déjà écarter la villa de Savignac comme ayant donné naissance à une paroisse. Les villae d’Anzas et de Baleyssagues étant très proches, tout comme celles d’Auriac et de Ste-Foy, nous ne pouvons retenir au mieux qu’un lieu de culte pour chaque micro-région.

     

    1 – Auriac, cœur d’une grande paroisse agenaise

     

    Auriac, par sa position géographique et l’importance de ses richesses archéologiques semble bien avoir très tôt abrité un lieu de culte. Son vocable, St Martin (mort en 397), s’il n’établit pas une preuve d’ancienneté à cause de la très longue période de vénération de ce saint, ne vient du moins pas infirmer cette possibilité. Sa mention la plus ancienne, extraite du Compte de 1326 du diocèse d’Agen, n’apporte aucune information. On pourrait placer Auriac au " centre " d’une grande " paroisse " primitive qui s’étendrait à l’ouest jusqu’à la Dourdèze c’est-à-dire la frontière du Bazadais au niveau de Baleyssagues, et atteindrait à l’est l’Escourou qui marque la frontière avec le Sarladais à l’est de La Sauvetat-de-Caumont et de Soumensac. L’archéologie révèle cependant des débris d’une villa sur le sol de La Sauvetat, mais nous avons vu que chaque villa ne donnait pas une paroisse, et nous pouvons être certain qu’une paroisse qui porte le nom de " Sauveté " n’est pas ancienne. Si nous reprenons l’hypothèse d’une grande paroisse agenaise au contact du Bazadais et du Périgord, la limite sud est bien sûr le Dropt, alors qu’on ne peut pas vraiment parler de frontière nord puisque les terres occupées par la forêt n’étaient pas ou peu mises en valeur. Cependant, à de Villeneuve-de-Puychagut, si l’on est à peu près à quinze kilomètres du Dropt, on est également à quinze kilomètres de la Dordogne qui est un axe bien plus important. Aussi, nous limiterons la structuration du réseau paroissial à partir d’Auriac à la frontière nord de la future seigneurie ajoutée de la petite paroisse de Ste-Croix-des-Aigrons.

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    2 – Le pendant bazadais, Anzas

     

    Anzas, enclave minuscule, a été tellement démembré au fil des siècles qu’on n’a plus mémoire de ses limites lors de la confection de la carte de Belleyme et qu’au XIXe siècle ce n’est plus qu’un lieu-dit qui, lui aussi, a disparu. Cependant, c’est la paroisse qui semble être à l’origine de toutes celles qui ont formé la frontière du Bazadais aux abords du Dropt, puisque plus au nord on s’approche à nouveau de la Dordogne. Plus éloignée du Dropt que Dieulivol par exemple, la présence attestée d’une villa au Ve siècle, alors que Dieulivol n’a pas délivré d’indice d’occupation antique, fait qu’on peut considérer Anzas comme une paroisse de première génération. D’autre part, comme pour Auriac, nous sommes en présence d’un toponyme qui pourrait être latin Nous ne possédons aucun document médiéval concernant cette paroisse, et le vocable, St-Jean, peut être aussi bien le Baptiste, très honoré en Bazadais, que l’Evangéliste, célébré le 27 décembre. Ne connaissant pas non plus les autels secondaires des paroisses environnantes, nous ne pouvons trancher, la fête locale ayant disparu avec la paroisse. Toutefois, on trouve plutôt Jean Baptiste dans les paroisses anciennes et l’Evangéliste dans les plus récentes (comme à Villeneuve-de-Puychagut). Cette paroisse, occupée à toutes les périodes protohistoriques et historiques, réunit beaucoup d’éléments qui font d’elle une paroisse mère en puissance, même si elle a été de nombreuses fois abandonnée.

    En ce qui concerne son étendue primitive probable, elle n’a donc certainement atteint la Dourdèze qu’aux abords du Dropt, se limitant aux lignes de crête pour ses autres frontières. Côté ouest, la limite de la rivière Lalanne ne constitue pas une frontière acceptable puisque touchant quasiment le village. En s’éloignant, on s’approche de la zone d’influence de la grande villa de Neujon, située sur la rive gauche du Dropt, et du site futur de l’abbaye de St-Ferme. Si Vignolles, Dieulivol et Genas à l’extérieur de l’espace seigneurial semblent directement issues du démembrement d’Anzas, les filiations à partir de ces paroisses filles sont moins évidentes et n’intéressent pas la seigneurie de Duras. A l’intérieur de cette dernière, Ste-Colombe et Baleyssagues sont issues d’Anzas, tout comme Esclottes que nous savons un cas particulier car documenté. Concernant la limite nord, qui se perd dans le bois du Gard, nous formulons les mêmes conclusions que pour Auriac.

    De ces deux grandes paroisses mères, des filles se sont organisées, certaines très rapidement.

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    B – Les paroisses probablement antérieures à l’An Mille

     

    C’est à la fin du Xe siècle qu’apparaissent les premiers textes relatifs aux paroisses considérées. Cependant certaines d’entre elles ont pu naître plus tôt.

     

    1 – Ste-Foy et St-Eyrard : le développement mérovingien ?

     

    Ces deux paroisses étant les deux seules, outre Auriac et Anzas, à cacher sous leur village des signes d’occupation du haut Moyen Age, nous les avons retenues comme pouvant relever de cette deuxième grande période de structuration paroissiale.

    Ste-Foy, paroisse la plus proche d’Auriac, semble logiquement relever de cette dernière. Son vocable, celui de la plus célèbre sainte de l’Agenais, sert donc de toponyme, ce qui est plus fréquent dans les paroisses plus récentes. Si la dévotion de cette sainte se répand dès le VIe siècle, c’est cependant au XIe siècle que les dédicaces à sainte Foy se multiplient. La paroisse doit donc relever d’une de ces deux époques, plutôt de la première si on ne considère que la relative continuité de l’occupation. Cependant, il ne faut pas oublier qu’à quelques centaines de mètres de là s’organise St-Eyrard, qui montre encore plus d’indices mérovingiens. Une fois de plus, la première mention de Ste-Foy-la-Petite, des environs de 1300, n’apporte rien. Il est donc envisageable que la paroisse ne se soit organisée qu’au XIe siècle, en même temps que les autres Ste-Foy d’Aquitaine. Par contre, la mise en valeur du territoire de St-Eyrard a dû se faire avant le IXe siècle.

    Deux importants cimetières ont été découverts à St-Eyrard ; un, le plus tardif certainement, ayant fixé le cœur de la paroisse. Nous sommes encore en présence d’un hagiotoponyme, mais qui n’a plus rien d’Agenais , prenant différentes formes telles qu’Eyrard ; Ayrard, , Airand, Ayrald…. Grâce au Cartulaire de La Réole, nous possédons des indications suffisamment anciennes pour voir le développement de St-Eyrard. En effet, les bénédictins réolais y possédaient un prieuré qui est attesté par deux textes de la fin du X siècle. Le plus ancien, mais aussi celui pour lequel nous avons le plus de doutes quant à son origine, daterait de 977, et on peut y lire : " de plus, moi, Gombaud, évêque de Wasconie, et mon frère Willelm Sanche, indépendamment du monastère du bienheureux Pierre, appelé Regula, nous lui donnons à perpétuité, avec pleine et solennelle confirmation et à titre de dépendances […] l’église de Saint-Erard, avec le domaine et les autres terres à l’entour. ". Cependant ces anciennes coutumes de La Réole semblent plutôt être une compilation d’actes rédigés vers la fin du XIIe siècle pour protéger les droits seigneuriaux du prieuré. Le deuxième texte, où apparaît le prieuré de St Eyrard, semble plus authentique. Datable de 982, il concerne le don de la dîme d’un alleu aux prieurés de La Réole et de St-Eyrard( " ego Guillermus Centullus et uxor mea Sancia reddimus decimam de alodo que dicitur Moleras Deo et Sancto-Petro et Sancto-Airardo "). Si cet acte est authentique, nous avons donc la certitude que la paroisse de St-Eyrard existait avant la fin du Xe siècle. Cependant une origine mérovingienne semble la plus probable.

    Les VIIe et VIIIe siècles n’ont donc certainement vu la naissance que d’une paroisse, celle de St-Eyrard, alors que celle de Ste-Foy-la-Petite n’a certainement été organisée qu’au XIe siècle, en même temps que celle d’Esclottes qui elle aussi reçoit la martyre d’Agen comme patronne. Esclottes est certainement une paroisse fille d’Anzas, intéressons-nous donc à cette seconde aire géographique.

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    2 – Baleyssagues et Ste-Colombe, la mise en valeur carolingienne

     

    Si le territoire de Baleyssagues renferme des vestiges d’habitats antiques probablement réoccupés à l’époque mérovingienne, nous ne sommes sûrement pas en présence d’une paroisse de " deuxième génération ". En effet, le village de Baleyssagues ne porte aucune trace d’une occupation antérieure au Moyen Age. La première mention n’apporte pas d’information supplémentaire, de même que le vocable, Notre-Dame sous le signe de la Nativité. Quant à la toponymie, il convient de s’en méfier puisque les avis divergent beaucoup ; alors que Massipvoit dans le toponyme une racine gallo-romaine (de " Vassiliaca villa "), d’autresconsidèrent que nous avons un dérivé de l’occitan " baley " qui est une petite colline ronde de sommet et à pentes abruptes, et du mot " sac " qui désigne les vallons. On serait tenté de supposer que la paroisse de Baleyssagues s’est développée à partir d’Anzas mais après celle de Ste Colombe à cause de la proximité des deux derniers villages. Mais il ne faut pas oublier que St-Eyrard s’est probablement organisé avant Ste-Foy, pourtant plus proche d’Auriac.

    Le territoire de Ste-Colombe se confond au XVIIIe siècle avec celui d’Anzas, les deux réunis ne formant qu’un espace réduit. Cette paroisse n’a donc jamais été très étendue, et n’est peut-être pas née d’un simple accroissement de la population et de la nécessité de conquérir de nouvelles terres. La présence d’un prieuré explique peut-être la formation de cette paroisse. En 1541, Georges de Lampière, religieux de St-Ferme, est prieur de Ste-Colombe, alors que la première mention du prieuré est un peu antérieure, de 1523. ; le prieuré existant certainement bien avant. La paroisse de Ste-Colombe est, elle, attestée, comme Baleyssagues, en 1274, alors que le patron de la paroisse n’apporte pas de précision de datation puisque Colombe de Sens meurt en 273. Ce n’est cependant plus Colombe qui est honorée dans l’église de ce lieu à l’époque moderne, mais Cloud, le petit fils de Clovis. Et en effet, alors que Cloud occupe le sept septembre dans le calendrier liturgique, la fête locale est célébrée le premier dimanche de septembre. On peut imaginer que la paroisse s’est organisée autour du prieuré, à une date inconnue. Dans ce cas, Baleyssagues aurait pu se former avant Ste-Colombe, car sa petite taille combinée à la proximité d’Anzas, posent des questions.

    L’expansion vers le nord à partir de la paroisse-mère d’Anzas ne se produira pas avant la fin du XIe siècle avec Esclottes, mais on peut penser qu’à partir d’Auriac, la continuité de la structuration est plus précoce.

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    3 – Savignac et Lubersac : la réoccupation tardive

     

    Si nous pouvons employer l’expression de réoccupation tardive, c’est que ces deux sites, après avoir été plus ou moins aménagés à l’époque gallo-romaine, furent abandonnés par la suite, sans toutefois disparaître totalement puisque les villages réoccupent les emplacements anciens et que des toponymes n’ont semble-t-il pas été oubliés. Cette réconciliation de la terre et des hommes vient peur-être du fait que la sylve n’avait pas encore récupéré sa densité originelle en ces lieux et que ces derniers étaient toujours les plus faciles à exploiter. Les nouveaux colons provenaient certainement de la paroisse St-Eyrard puisque cette dernière, par l’intermédiaire d’une curieuse excroissance sur la rive droite de la Dourdèze, occupe toute la frontière sud de Savignac ainsi que celle de Lubersac. Malgré la présence d’une route importante que nous avons déjà évoquée, la paroisse de Savignac semble issue d’une très grande paroisse de Lubersac qui incluait aussi probablement le territoire de St-Sernin. En effet, le village de Lubersac se situe très exactement au centre de ce vaste ensemble.

    La mention la plus ancienne de Lubersac remonte à 1326, et le vocable n’est pas très parlant puisque nous retrouvons Notre-Dame. Cette paroisse apparaît assez petite face à ses deux voisines, Savignac et St Sernin, ce qui tend à prouver qu’elle a bien été démembrée plusieurs fois ; lors de la création de Savignac, de St-Sernin qui continue sa limite nord mais aussi de Ste-Croix-des-Aigrons, certainement dans un dernier temps. Le sol de Lubersac étant assez pauvre, des occupants ont dû assez rapidement investir les dernières terres encore vierges de cultures, et s’attaquer au défrichement de grands espaces. Cependant, il est difficilement envisageable que les deux paroisses filles se soient détachées en même temps. Plus proche des paroisses déjà organisées, Savignac a dû s’ériger en paroisse avant St-Sernin, d’autant que le site avait déjà été suffisamment viable pour accueillir une villa.

    La première mention certaine de Savignac date des alentours de 1300. Cependant, J.P. Trabut-Cussac identifie Savignac comme étant le lieu qu’Auger Cot reconnaît tenir en fief, de même que Pellegrue, Angles et Rouquette le 21 mars 1274. Comme il existe plusieurs autres Savignac en Bazadais et que les autres paroisses citées se situent dans ce diocèse, on ne peut pas être certain qu’il s’agit bien de Savignac " de Duras ", contrairement au Cartulaire d’Agen, où on peut lire : " Savinhac prope Duras ". Cependant, la mention d’une localité proche, Pellegrue, donne une cohérence à cette assertion. Le vocable, St-Vincent, fait partie de ceux qui ont été utilisés sur une très longue période. Nous ne pouvons donc pas affirmer que cette paroisse est antérieure à l’An Mille, et sa grande taille semble indiquer qu’elle n’a pas été démembrée. Ce qui est quasiment certain c’est que Savignac est issu de Lubersac et très probablement antérieur à St-Sernin, qui relève forcément de la dernière génération, même si la paroisse de Malromé, avec Barthélemy comme saint patron semble issue de ce dernier ensemble.

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    C – La dernière génération de paroisses

     

    Il ne faut pas imaginer à St-Sernin ou à Esclottes de véritables " déserts ", puisque des découvertes archéologiques témoignent çà et là d’une occupation assez ancienne mais discontinue. Quand les dernières paroisses se forment au XIe siècle et peut-être plus tard encore, les occupants de ces sols inhospitaliers sont enfin assez nombreux pour former une communauté paroissiale, c’est du moins ce que l’on imagine dans le cas de St-Sernin

     

    1 – St-Sernin : l’organisation d’un vaste espace

     

    Nous avons déjà expliqué que nous entendions par spontanée une mise en valeur venant seulement de la nécessité de conquérir de nouveaux espaces pour survivre. Malgré le manque de textes, nous n’avons pas l’impression que des éléments extérieurs soient intervenus dans la mise en valeur de cet espace ; en effet, aucun ordre religieux ne semble s’être installé dans ce périmètre. La mention la plus ancienne est toujours tirée du Compte de 1326, et Sernin (ou Saturnin), premier évêque de Toulouse, étant mort vers 257, nous ne pouvons pas nous servir de ces éléments. C’est le premier hagiotoponyme, qui correspond vraiment à l’idée qu’on s’en fait habituellement, c’est à dire un territoire nouveau qui ne possède peu ou pas de noms de lieux préexistants. St Front, au sud de St-Sernin, semble s’apparenter à cette dernière. Cependant, cette paroisse est plus proche d’une paroisse de première génération, Auriac.

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    2 – St Front : la dernière structuration paroissiale

     

    St-Front est le seul espace de la seigneurie à n’avoir révélé aucun indice de peuplement antérieur au Moyen Age, ainsi que la seule paroisse qui conserve encore au XVIIIe siècle un espace boisé assez conséquent, qui porte le nom de " Forest de St-Front ". Nous avons vu que le sol était assez répulsif, et ainsi, il a dû constituer une vaste " réserve " boisée pendant très longtemps. La première mention date de 1520 et nous informe que la paroisse abrite un prieuré hospitalier dépendant de la commanderie de Roquebrune en Bazadais. Les populations venues organiser cet espace provenaient plus probablement du sud que du nord puisque la paroisse est totalement défrichée au XVIIIe siècle aux abords d’Auriac et de Ste-Foy-la-Petite, alors qu’au nord nous retrouvons donc la forêt de St-Front, occupant donc cette paroisse te celle de St-Sernin. Si les Hospitaliers se sont installés sur un territoire organisé, nous avons avec Esclottes l’exemple d’une paroisse née d’une fondation laïque.

     

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    3 – Esclottes, une église possédée par l’abbaye de Conques

     

    Esclottes est la seule paroisse pour laquelle nous pouvons affirmer avec certitude qu’elle est de la fin du XI siècle, et même des alentours de 1076, et ce grâce à l’acte 50 du cartulaire de Conquesdont voici la traduction :

     " Au nom du seigneur. Moi, Amancuus, pour le salut de mon âme et pour le salut de mes parents tant morts que vivants, je donne à St-Sauveur de Conques et à Ste-Foy deux manses de terre à " Escolt ", situé dans le diocèse de Bazas, avec le quart et toute la dîme de ces trois (sic) manses, et par cet accord, le moine Deusdet, ou Pierre ou Odolric bâtira en ce lieu une église en l’honneur de Ste-Foy, pour mon âme et pour celle de mes parents. De même, je leur donne toute cette église. D’autre part, je leur donne toute la justice sur cette église et sur les hommes qui pourront s’installer ici, sans qu’aucun de mes parents ou de mes héritiers puisse aller contre ma décision. Et si, alors que je ne serais pas là, il advenait qu’un abbé ou un moine veuille enlever cet honneur des possessions de Ste Foy, que viennent (à Conques) mon fils ou ma fille ou quiconque détiendra mon honneur et qu’il mette douze deniers limousins sur l’autel de St-Sauveur et de Ste-Foy, et revendique pour lui cette possession. Mais si, après mon décès, mon fils ou un de mes parents voulaient intenter quelque chose contre ce don et cette dernière clause, qu’il soit aussitôt privé de ce qu’il possède et que lui et ceux qui le soutiennent reçoivent la damnation éternelle avec Dathan et Abiron, avec Juda le traître, Anna et Kaifa ainsi que Pilate.

    Ont signé : Amancuus, Guillaume Aicart, Aner Sanche, Aiquelmaner, Foulques. "

    On découvre donc qu’Amancuus est seigneur banal puisqu’il donne la justice et les dîmes au monastère. Cette justice, il la donne sur les occupants de la paroisse, présents et à venir. La contre-partie de ce don est donc la fondation d’une église, mais pas par n’importe qui puisque trois moines sont évoqués pour se charger de l’édifice. Desjardins voit en ces moines des architectes introduisant, partout où leur possessions se développent, le style roman de Conques. L’église aurait donc dû être dédiée à Sainte Foy, ce qui a peut-être été le cas, mais aujourd’hui le saint patron est Blaise, et nous avons vu que les changements de vocable, pour diverses raisons, étaient assez nombreux dans la seigneurie. Nous avons donc ici le cas d’une église fondée par une communauté religieuse à la demande d’un seigneur laïque. La présence des moines de Conques semble se borner à la nomination du prêtre et à la collecte des taxes, mêmes si certains ont cru déceler la présence d’un prieuré à Esclottes. Or la pancarte du XVIe siècle, toujours publiée par Desjardins, ne fait état que de l’église d’Esclottes (qui est d’ailleurs le seule possession de Conques dans le Bazadais), contrairement notamment au prieuré de St-Martin de Pineuil par exemple ; et la Levée du don gratuit en Bazadais pour 1523 mentionne le " recteur d’Esclotes " ainsi que le prieur de Ste-Colombe, mais pas de prieur d’Esclottes. Bien sûr le prieuré a pu exister puis disparaître avant la fin du Moyen Age, mais dans l’état actuel de nos connaissances nous considérons qu’il n’a pas existé, d’autant que le donateur , Amancuus, avait bien demandé l’édification d’une église et non la fondation d’un prieuré. Le cartulaire contient par contre deux autres actes relatifs à Esclottes, n° 372 et 386, datés tous les deux de la fin du XIe siècle, c’est-à-dire peu après la charte de fondation. Ils prennent la forme de compte des redevances, et ainsi nous avons une idée de ce qui se cultivait dans cette nouvelle paroisse.

    Dans le premier texte, les habitants d’Esclottes doivent, outre le quart (" quartum ") un cens de deux moutons (" multones "), quatre pains (" panes ") et quatre setiers d’orge ou d’avoine (" quatuor sestarios de civata "). Quelques année plus tard, toujours pour l’ " ecclesia de Escolt ", outre le quart, le cens s’élève à deux moutons toujours, mais on est passé à huit pains et à huit " conchas " d’ orge ou d’avoine. Si nous ne pouvons pas comparer les setiers et les conques, ignorant leur contenance, nous voyons que les exigences en pains ont doublé. Cela peut venir d’une hausse simple des redevances dues au monastère, mais on imagine plutôt que la population a augmenté et que ainsi davantage de surface est occupée par la culture des céréales panifiables. On constate également qu’une place importante est donnée à l’élevage des moutons. La création de cette église semble donc avoir été une réussite rapide, ce qui montre bien qu’à la fin du XIe siècle le réseau paroissial n’est pas entièrement structuré et que la vitalité des populations est suffisante pour permettre l’éclosion de nouvelles paroisses.

     

    Nous avons donc évoqué toutes les paroisses constituant la seigneurie de Duras au XVIIe siècle. Nous avons retenu deux grandes paroisses mères, Auriac et Anzas, puis s’est développé St-Eyrard dans un premier temps, alors que Ste-Colombe et Baleyssagues, dans un ordre incertain, ont dû se former un peu après la précédente, peut-être au même moment que Lubersac. C’est ensuite que Savignac puis St-Sernin se sont détachées de Lubersac, alors qu’en 1076 s’amorçait la naissance d’Esclottes. C’est certainement aussi à cette époque que s’organise Ste-Foy, avant St-Front qui a dû se structurer dans un dernier temps. Si l’ordre d’apparition de ces paroisses n’est pas certain, leur existence l’est. Cependant, d’autres paroisses sont peut-être nées dans le cadre de la seigneurie et ont disparu précocement.

     

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    II – Deux problèmes d’existence paroissiale, St-Sulpice et Duras

     

    La seigneurie de Duras comptait peut-être au Moyen Age une voire deux paroisses de plus. La première, qui n’a laissé aucune trace, est mentionnée dans les textes, alors que la seconde, communément admise, brille par son absence dans les documents médiévaux.

     

     

    A – St Sulpice, fille de Baleyssagues ?

     

    Le diocèse de Bazas n’ayant conservé aucun pouillé ni aucune visite épiscopale, l’étude des paroisses est rendue très compliquée. Les levées du don gratuit en Bazadais au XVIe siècle, nous ont fait nous poser la question de l’existence d’une paroisse à proximité de Baleyssagues. En effet, en 1523, trente livres doivent être payées par " le recteur de Balizac avec son annexe St-Martin " (p. 14-15). Au pages 55, 79, 102 et 128 (nous sommes alors en 1537), c’est désormais St-Sulpice (Sancti Supplicii) qui apparaît comme annexe de Baleyssagues. Nous ne pouvons pas avoir de doute quant-à l’identité de ce Baleyssagues, situé dans l’archiprêtré de Juillac, et nommé sur les mêmes lignes que les trois autres paroisses bazadaises du Duraquois. Le système des annexes permettant à un curé de célébrer la messe dans deux paroisses implique la proximité de ces dernières. Or il n’existe à l’époque moderne aucune paroisse St-Martin ou St-Sulpice (qui est sans doute la même, la première nomination étant certainement une erreur) à proximité de la seigneurie de Duras et dans l’archiprêtré de Juillac. En 1680, cette annexe de Baleyssagues a disparu ; ainsi s’expliquerait la curieuse excroissance du territoire de St-Eyrard sur la rive droite de la Dourdèze. Le rattachement du territoire aurait donc dû se faire en faveur de Baleyssagues, mais la logique n’est pas forcément suivie. St-Eyrard était certainement la paroisse qui avait le plus besoin de territoire à cause du développement de Duras, qui justement au XVIIe siècle affirme son passé paroissial.

     

     

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    B – Duras, paroisse castrale ?

     

    L’idée que Duras ait pu devenir espace paroissial, en même temps que St-Eyrard qui est la paroisse dans laquelle Duras a été fondée, nous vient de la visite épiscopale de Nicolas de Villars, évêque d’Agen, au début du XVIIe siècle. Duras n’est pas alors une paroisse mais le lieu principal de ce qui est appelé " St-Airal de Duras ", et quand l’évêque visite la ville, on peut lire qu’il a " traité avec le juge du lieu pour le cimetière, et un pilori qui avait été posé en une place ou plusieurs fois l’on m’y a dit y avoir une église " (l’orthographe a été modernisé, et ce sera le cas pour toutes les citations issues des visites épiscopales dans ce paragraphe). Apparemment, Villars ne se prononce pas à ce sujet et n’accorde certainement pas ce que les habitants de Duras réclamaient, à savoir l’installation légitime du curé intra muros. Cette revendication est plus évidente lors de la visite épiscopale de Jules Mascaron en 1680où le problème est exposé avec clarté. Duras n’a alors pas atteint le statut paroissial puisque l’article commence, p. 202, par le titre : " église et paroisse de St-Ayrard de Duras, de Ste-Foy la petite son annexe et de la chapelle Ste-Magdelaine dans la ville de Duras ". Très vite l’évêque Mascaron fait part d’une plainte des habitants de St-Eyrard hors Duras : " les paroissiens ont fait plainte qu’ils ont manqué quelques fois la messe, les fêtes et très souvent le catéchisme. A quoi le curé a répondu que c’était faute d’avoir trouvé un vicaire, et les paroissiens ont répliqué que c’était ici et non à Duras qu’il devait dire la messe et faire les fonctions curiales et que s’il eut quitté Duras qu’ils auraient été suivis. " Nous voyons donc que le curé, par ailleurs né à Duras, célèbre les offices dans la chapelle Ste-Magdeleine, et Mascaron en donne les raisons : " notre dernier prédécesseur (Claude Joly, dont nous ne possédons pas la visite épiscopale de l’archiprêtré de Ste-Foy-la-Grande) dans ladite visite (du 25 avril 1661) ordonna qu’il ne se ferait aucune fonction curiale ; néanmoins, le curé et les habitants du lieu prétendaient qu’il y avait eu dans la ville de Duras une grande église appelée Notre-Dame bâtie au lieu où est maintenant la place, laquelle fut démolie par les huguenots au temps de leur ancienne révolte et que cette église était paroissiale, et que ayant été démolie, cette chapelle doit tenir la place et en effet le curé serait en possession de dire dans cette chapelle la messe et vêpres, toutes les fêtes et d’y faire toutes les fonctions curiales, faisant servir l’église paroissiale de St-Eyrard et de la petite Ste-Foy son annexe par un vicaire alternativement. ". Cette fameuse paroisse Notre-Dame apparaît plus comme une justification d’une situation " illégale " aux yeux de la religion, que comme un réel souvenir du passé, d’autant que les bénédictins de La Réole, qui possèdent un prieuré à Duras et perçoivent les dîmes de St-Eyrard et de Ste-Foy ne soutiennent pas cette version. En effet, alors que l’évêque visite Ste-Foy-la-Petite, ses paroissiens se plaignent  " qu’il y avait six mois qu’il ne s’était dit de messe et que le curé et ceux qui tirent les fruits du prieuré font tout ce qu’ils peuvent pour anéantir cette église ". Le curé propose alors que les bénédictins de La Réole paient un deuxième vicaire (un premier ayant été imposé à St-Eyrard dès Villars, à la solde du prieuré), mais " le sous-prieur desdits bénédictins de La Réole a dit que de tout temps on ne disait point de messe les jours de fête à Duras attendu qu’il n’y a qu’une chapelle et que le curé et le vicaire étaient suffisants pour dire la messe à St-Ayrard et à l’annexe ". Il est évident que le passé paroissial de Duras n’éclate pas au grand jour, et il est ainsi logique de ne trouver aucune mention de cette église Notre-Dame dans les textes médiévaux. On trouve fréquemment cité le prieur de Duras, car effectivement le prieuré a été déplacé dans la ville, mais pas de curé de Duras. Et même, dans un acte de 1316,se trouvent mentionnées les dîmes de la paroisse St-Eyrard de Duras (" decimis parrochiae Sancti-Airaldi de Durassio "), mais jamais on ne parle des dîmes de Duras uniquement. Enfin, lorsque Gaillard IV de Durfort, seigneur de Duras, rédige son testament le 4 février 1481 à Duras, il fait des legs pieux à Ste-Madeleine et à la chapelle de Nazaret dans l’église St-Eyrard où il demande deux cents messes, et rien pour l’église Notre-Dame… Même si elle a été décrite à posteriori par tous les auteurs du XIXe siècle comme étant vaste et de style gothique, et même due à la générosité de Clément V, cette église n’a certainement jamais existé, contrairement à celle dédiée à St-Martin ou St-Sulpice, dont nous ne pouvons pas être certain de la localisation.

     

    La formation du réseau paroissial s’est donc étendue sur une longue période, les premières paroisses apparaissant dès les V-VIe siècles, et les dernières s’organisant au moins jusqu’à la fin du XI siècle. Mais même après la fin de cette structuration, de nouvelles terres ont été gagnées, plus seulement sur la forêt mais aussi sur les zones marécageuses ceinturant le Dropt. Ainsi, au sud de Ste-Foy trouve-t-on un toponyme " Les Barthes ", nom de lieu que l’on retrouve également à Dieulivol. Mais il ne s’agit plus alors de créer de nouvelles paroisses, les gains de terre étant mineurs. C’est ainsi sur un réseau abouti que vient se greffer un castelnau vers 1137, Duras, qui va s’imposer comme le centre d’une seigneurie nouvelle successivement aux mains de trois grandes familles, les Bouville, les Got et les Durfort. C’est l’évolution de cette seigneurie que nous allons maintenant étudier, développement intimement lié à la destinée de ses seigneurs.

     

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    Deuxième partie :

     

     

      

    La seigneurie de Duras et ses seigneurs, XIIe-XVe siècle

     

    Chapitre I – La création de la seigneurie de Duras

     

     

     

    La première question soulevée par l’apparition de la seigneurie de Duras est celle de sa légitimité. En effet, avant la création de Duras, nous sommes très peu renseignés sur les possesseurs de cet espace qui dépendait de la grande vicomté de Bezaume. Cette dernière juridiction existait déjà à la fin du Xe siècle, et devait s’étendre, en Agenais, sur une portion notable mais indéterminée de l’archiprêtré du même nom, pour le moins la région de Duras. En Bazadais, la vicomté comprenait au moins le Réolais, et peut-être même toute la rive droite de la Garonne. La vicomté de Bezaume est démembrée au plus tard en 1266 par le roi d’Angleterre Henri III Plantagenêt qui veut ainsi punir la révolte de Bernard II de Bouville. Nous pouvons nous demander si avant 1137 et la fondation du castelnau de Duras cet espace avait des seigneurs propres, et si par conséquent l’implantation d’une nouvelle place forte puis d’une véritable seigneurie s’est faite avec l’accord ou au détriment des seigneurs antérieurement possessionnés.

     

     

     

    I – La création d’un nouveau point fort : Duras

     

    A – La situation avant la création de Duras

     

    Nous savons, grâce au cartulaire de Conques et à celui de La Réole, que la future seigneurie de Duras n’est pas un espace totalement désorganisé puisque le fondateur d’Esclottes possède la justice sur ses terres, ces dernières constituant certainement un alleu. Nous avons un autre exemple d’alleu dans le cartulaire de La Réole, quand, en 982, Guillaume Centullus et sa femme donnent la dîme d’un alleu aux prieurés de La Réole et de St-Eyrard.

    Les vicomtes de Bezaume ont certainement été très tôt possessionnés aux alentours de St-Eyrard puisqu’en 1026 on voit Rodolphe Artaud, vicomte de Bezaume, faire don de l’église de St-Hilaire-le-Moustier au prieuré de La Réole, et ce dans le marché de St-Eyrard.

    D’autre part, un autre acte, toujours extrait du cartulaire de La Réole, daté de 1126, fait état de l’entrée dans la vie monacale de Gérard des Lèves (" Geraldum de Les Lubies "), qui fait don de tout ce qu’il possède au prieuré de La Réole. En échange, le nouveau religieux reçoit le prieuré de St-Eyrard, ou il résidera avec un autre moine (" prioratum Sancti-Heirardi ei donavimus, ita tamen ut monachum unum in eadem ecclesia secum habeat, quem honorificice teneat, qui res prioratus post eum fideliter conservet et custodiat "). Plus qu’un don propre, c’est plutôt une nomination de prieur de St-Eyrard qu’il reçoit, ainsi que les revenus qui y sont attachés. On apprend également que ce petit prieuré ne compte que deux moines résidents, le prieur et un autre frère. Mais un dernier élément apparaît parmi la liste des témoins de cet acte. En effet, la première personne qui appose son seing n’est autre que " B. de Buvila ", or le patronyme " Bouville " appartient à la même famille que celle de Gabarret, c’est-à-dire du vicomte de Bezaume, fondateur de Duras. Même si nous ne pouvons pas savoir qui est ce " B. " par rapport au vicomte, il est certain que la famille de Bezaume était déjà en relation avec le prieuré de La Réole et celui de St-Eyrard. D’autres seigneurs locaux était également en rapport avec les prieurés de La Réole et de St-Eyrard, comme Bertrand de Taillecavat qui, en partant pour les croisades en 1087, donne au prieur de La Réole et à ses frères un quart de l’église de St-Eyrard et un casal qu’il tenait au-delà du Dropt.

    Cette organisation où le prieuré de La Réole avait une position centrale va être bouleversée par la fondation d’un nouveau château : Duras.

     

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    B – La fondation du château de Duras

     

    Si le vicomte de Bezaume et les Bénédictins de La Réole avaient certainement des contacts avant la création de Duras, on peut se demander dans quelle mesure le nouveau château du premier a pu nuire aux intérêts des seconds.

     

    1 – Légitimité ou spoliation ?

     

    Dans une lettre rédigée par les Bénédictins de La Réole aux alentours de 1137, conservée dans leur cartulaire, nous voyons les religieux se plaindre au roi de France des usurpations des seigneurs voisins, et en particulier des exactions du vicomte de Bezaume, certainement Guillaume-Amanieu de Gabardan. Leur supplique commence ainsi : " seigneur glorieux et invincible. L’église de La Réole qui dépend directement de votre souveraineté, adresse toute éplorée ses plaintes à Votre Majesté. Depuis votre départ, nos voisins, parjures et sacrilèges à vos droits, nous accablent de plus de maux que jamais, entre autres le vicomte de Bezaume, notre plus cruel persécuteur. Avant votre arrivée dans notre contrée, il avait fait prisonnier trois moines, qu’il nous a fallu racheter, et avait dévasté nos domaines. Nous espérions que votre passage nous rendrait un peu de sécurité, mais il est devenu plus méchant que par le passé, et nous a enlevé de force notre bourgeois Buchon, pendant qu’il traversait ses terres, et l’a taxé à cent-cinquante livres morlasses de rançon ". Le passage du roi de France en Aquitaine évoqué est certainement le mariage de Louis VII avec Aliénor d’Aquitaine à Poitiers en 1137, alors que Louis VII devenait roi le 1er août de la même année. Ainsi, les exactions commises par le vicomte ont lieu aux environs de 1137, et parmi celles-ci, selon le prieuré de La Réole, la création de Duras. Dans la même lettre, voilà ce que disent les Bénédictins de cette fondation : " d’autre part, seigneur, nous avons en notre possession une certaine villa, qui se nomme Saint-Eyrard, qui était autrefois populeuse puisqu’en effet s’y comptait plus de trois cents maisons ; le comte de Poitou avait intégralement donné cette villa à Dieu et au bienheureux Pierre de La Réole, de telle façon que les services de la villa qui lui étaient dus le furent désormais, selon les possibilités, à La Réole. Il institua également pour le prieur et les moines les mêmes donations qu’à La Réole sur tous les revenus qu’il y avait dans la villa de St-Eyrard. Le vicomte de Bezaume et son frère, Catursamatqui est maintenant mort, enlevèrent donc à vos serviteurs en la dévastantcette villa si bien instituée et préparée pour votre service (plutôt que " par votre service " pour " servicio vestro preparatam "). Et le vicomte fit s’exiler les hommes qui habitaient dans la susdite villa, de gré ou de force, à côté d’un certain château qu’il avait fait construire à proximité de ce lieu. Ce même vicomte et ses hommes qui voulaient des péages et des leudes en ce lieu, nous privèrent donc de l’intégrité du marché qu’il nous restait dans la villa désolée. D’autre part, le vicomte et ses hommes enlevèrent violemment deux autres bourgeois de notre villa, Vital et Raimond, qui durent payer cinquante livres de la monnaie de Bordeaux pour recouvrer la liberté (la suite manque) ". Il est donc bien précisé dans cette notice que le château a été édifié avant l’installation forcée d’habitants aux alentours. Mais les bénédictins ne semblent pas reprocher l’existence de ce château. Par contre, c’est la violence employée par le vicomte de Bezaume pour établir un habitat à proximité qui est stigmatisée, de même que le détournement des péages et du marché qui revenaient aux bénédictins.

    Ce que nous pouvons retirer de ce texte est que le vicomte de Bezaume a érigé, selon son bon droit et en un endroit désert, un château, et qu’il y a installé une garnison. Nous sommes alors aux environs de 1137, et le vicomte, qui s’est déjà attaqué à plusieurs possessions réolaises, décide qu’il est temps d’établir définitivement un point fort en y attachant des revenus donnés par un habitat qui ne doit plus dépendre des bénédictins. Le besoin d’argent est d’ailleurs bien mis en évidence par le rachat forcé des habitants les plus fortunés de La Réole et de St-Eyrard.

    L’absence de châteaux importants, hormis le castellum de Langon, mentionné peu après 1080, dans la vaste vicomté de Bezaume est certainement pour beaucoup dans la création du château de Duras, situé à la frontière entre l’Agenais et le Bazadais.

    Malgré leur récriminations, les Bénédictins doivent composer avec l’attitude du vicomte, et rapidement des accords sont trouvés.

     

    2 – La réconciliation du vicomte et des moines

     

    Le vicomte de Bezaume doit désormais négocier le statut de cette nouvelle réalité. Le premier interlocuteur est bien sûr le prieuré de La Réole qui apparaît comme l’unique perdant dans cette affaire. Mais il convient aussi de négocier avec le duc d’Aquitaine qui est son suzerain, l’évêque d’Agen quant au service religieux, et bien-sûr avec les nouveaux habitants sans qui la pérennité d’un bourg n’est pas envisageable. De tous ces acteurs, nous ne connaissons assez bien que les bénédictins. Il serait cependant dangereux d’accepter sans discernement tout ce qui compose leur cartulaire, qui a tendance à avoir une vision assez partiale des événements, quand elle n’est pas simplement erronée. Si nous considérons que les Bénédictins, dans leur plainte de 1137, prétendent tenir la villa de St-Eyrard du comte de Poitiers, dans un autre acte, qu’ils datent de 977 mais qui est en réalité de la fin du XII siècle, ils prétendront tenir St-Eyrard de " Gombaud, évêque de Wasconie, et [de son] frère Willelm Sanche ". Nous sommes certain que ce dernier acte est un faux, et de forts soupçons pèsent sur le précédent. L’intervention du comte de Poitiers n’est peut-être due qu’au mariage de Louis VII et d’Aliénor d’Aquitaine, cette dernière étant comtesse de Poitiers.

    Cependant, la lettre est restée sans réponse, et Guillaume-Amanieu et le prieuré ont certainement réussi à s’entendre puisque en 1179, nous retrouvons ce même vicomte recevant un revenu comme défenseur du prieuré. C’est cependant avec peu de zèle qu’il accomplit sa tâche puisque, peu après, Aner de Corbian et son frère enlèvent les dîmes de l’église de Corbian aux Bénédictins, et c’est le roi Richard qui doit intervenir. Cependant, le vicomte de Bezaume et le prieuré de La Réole ne sont plus en conflit ouvert, ce qui permet au bourg de Duras de se développer.

     

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    C - L’organisation du bourg de Duras

     

    Le plan cadastral de 1826 révèle un plan assez régulier de trois rues principales convergeant vers le château, rues ne trouvant l’extérieur des murs que par deux portes, dont une donne sur le château. Il n’y a donc qu’une seule vraie ouverture vers l’extérieur, dans l’alignement du château et de la Porte de Bas, ce qui montre bien que la ville a été édifiée en fonction du château, d’autant que ce dernier occupe la pointe de l’éperon rocheux, et que la ville se développe ensuite dans le prolongement. Et justement la motte primitive pourrait très bien avoir profité des qualités naturelles du site, qui sont toujours visibles aujourd’hui, puisque le plateau calcaire se termine par un arc de cercle d’une trentaine de mètres de diamètre, donnant sur un abrupt impressionnant se dirigeant vers la Dourdèze et le Dropt. Nous sommes donc en présence d’un plateau propice à l’installation d’un élément nouveau dans cet espace, un habitat groupé destiné à se réfugier derrière des murailles. En effet, aucun village n’est ici fortifié au XIIe siècle, et leur position choisie pour des raisons autres que militaires, ne convient pas à l’édification d’une vraie place forte. Hors en cette première moitié du XIIe siècle, le vicomte de Bezaume a besoin d’un point stratégique à la limite de l’Agenais et du Bazadais. Et puisque aucun site ne convient, il faut en a créer un nouveau.

    Le prieuré, primitivement situé à St-Eyrard, apparaît à Duras dans le plan cadastral, à l’extrémité sud-est du village, à l’opposé du château. Nous ne connaissons pas avec exactitude le moment de la translation du prieuré, mais nous avons deux dates butoir. Le transfert s’est forcément produit après 1137, et avant 1233, date de la première mention du prieur de Duras (" prior de Duras "). Si le site révélé par le plan cadastral est bien le premier lieu d’implantation du prieuré à Duras, on peut affirmer que dès le début du XIIIe siècle le bourg de Duras possède la forme qu’il conservera jusqu’au XIXe siècle. Le prieuré pourrait avoir été transféré en 1177 puisque déjà le vicomte de Bezaume avait su obtenir la rémission et même plus, le statut de défenseur du monastère qu’il a dépouillé. Les bénédictins ont certainement choisi d’investir le nouveau lieu afin de garder l’influence et les revenus qu’ils détenaient précédemment. Bien sûr la volonté d’assister spirituellement un habitat désormais plus nombreux à Duras qu’à St-Eyrard a pu être d’importance, d’autant que l’église paroissiale est loin du bourg, mais on peut penser que le prieur de St-Eyrard, qui prend désormais le titre de " prieur de St-Eyrard de Duras " a négocié une présence et un revenu dans le village. Outre le prieuré, une chapelle dédiée à Ste-Marie-Madeleine est édifiée non loin du château, à l’intérieur des remparts.

    Duras est donc un exemple abouti de fondation d’un château qui a réussi à attirer, par la force dans un premier temps, une population assez importante. Simple motte à l’origine, Duras est devenu un vrai bourg castral, alors qu’un peu partout dans le reste de l’espace de la future seigneurie, d’autres mottes, dont l’origine et la finalité nous échappent, n’ont pas évolué.

     

     

    D –La recherche de points stratégiques : les mottes

     

    Sept mottes ont pu être répertoriées dans le cadre de la seigneurie, certaines d’entre elles existant encore à une date récente, d’autres étant suggérées par la toponymie. Il est probable qu’elles n’ont pas toutes été contemporaines ; cinq sont assez proches du Dropt, les deux autres de la Dourdèze et de la Canterane.

     

    1 – Les mottes proches du Dropt

     

    Si nous suivons le Dropt d’est en ouest, nous découvrons d’abord une butte de 40 m de diamètre, au lieu dit Grangeneuve, à Ste-Foy, à l’ouest du confluent du Dropt et du ruisseau séparant Ste-Foy d’Auriac. Il n’y a été découvert que des cendres, des ossements et de la céramique grossière. La motte située à l’ouest du village de St-Eyrard est encore moins parlante puisqu’on ignore la date de sa disparition. La seul indice permettant de suggérer son existence est le toponyme " La Motte ", occupant l’extrémité d’un plateau calcaire.

    En nous déplaçant sur la paroisse de Baleyssagues, nous découvrons trois mottes très proches aux lieux-dits " Mirate ", au sud, " La Mothe ", plus à l’intérieur des terres et au " Pont de la Mothe ", dominant la Dourdèze. Ces trois édifices surplombent chacun une voie importante : celle menant à Castelmoron puis Sauveterre au sud (mais pouvant également conduire à Monségur puis à La Réole ou encore à St-Ferme), celle aboutissant à Pellegrue au nord, et la jonction de ces deux routes pour la troisième. La motte située aux abords de la Dourdèze semble liée son existence à la confluence de ces deux voies, dont la réunion devait primitivement contourner le plateau qu’occupe Duras pour rejoindre St-Eyrard. Haute d’environ 10 m et en forme de cône tronqué, elle servait probablement à la surveillance du gué.

    La seconde motte située à l’intérieur de l’aire baleyssaguaise occupe l’espace situé entre une zone humide au sud et une élévation du terrain au nord. Autant dire que c’est le passage obligé des personnes voulant longer le Dropt pour se diriger vers l’ouest. Nous ne pouvons pas douter de l’existence de la motte proche de la Dourdèze puisqu’elle a été arasée assez récemment, lors du remembrement. Par contre, la motte de Mirathe n’est citée que par Camps, qui ignore celle des abords de la Dourdèze. Quant à Fages, s’il mentionne " Mirathe ", c’est pour la présence d’un établissement antique, et non pour la présence d’une motte. Ces deux mottes sont donc peut-être en réalité la même. La dernière motte, pour laquelle aucune controverse n’est possible, a une position un peu moins stratégique au niveau des axes de communication, mais se trouve beaucoup plus proche du village de Baleyssagues. Haute de 6 m, d’une circonférence de 120 m et comprenant une dépression à son sommet, elle a pu appartenir à un homme prétendant contrôler le village de Baleyssagues et les alentours. Elle ne semble pas avoir été destinée à accueillir la population du village voisin, étant de superficie insuffisante.

    Que Baleyssagues ait accueilli deux ou trois mottes prouve bien que cette paroisse est réellement en position de carrefour. D’intérêt local ou diocésain, ces édifices militaires préfigurent peut-être le grand pôle stratégique que constituera Duras. Mais avant d’évoquer ce cas particulier, intéressons-nous aux deux autres mottes, celles de St Sernin et de Savignac, plus éloignées de la vallée du Dropt.

     

    2 – Les mottes " intérieures "

     

    A St-Sernin, à 1,5 km au sud-ouest du village, au lieu-dit " Le Roc ", à l’extrémité d’un plateau calcaire dominant la Dourdèze à l’ouest, la Lègue au nord et un ruisselet au sud, s’élève une motte de 4 m de haut et de 140 m de circonférence. Elle s’élève donc moins haut que les précédentes mais trois de ses côtés sont en à-pic, ce qui la rend très difficile d’accès. Cette zone semble avoir été militarisée très tôt puisque s’est aussi dans la vallée de la Lègue, rive droite, que se situe l’éperon barré de Castelgaillard, à moins d’1 km de la motte. On peut s’étonner que l’éperon n’ait pas été réutilisé ; peut-être était-il trop vaste, ou désormais moins adapté aux assaillants potentiels, qu’ils soient des animaux ou des hommes. Nous pouvons également imaginer que ces deux points forts ont pu être simultanément occupés, et qu’ils contrôlaient le passage dans la vallée de la Lègue, vallée qui constitue une voie non marécageuse et assez étendue vers l’est. Cependant, l’éperon n’ayant pas été fouillé, nous ne pouvons pas être certain de sa réoccupation au Moyen Age. D’autre part, la création tardive de la paroisse et la persistance d’une couverture boisée importante jusqu’à une époque tardive nous fait nous interroger sur la nécessité de deux lieux fortifiés simultanés sur une voie certainement assez peu utilisée. A l’époque moderne en tout cas, aucun chemin important n’emprunte cet axe, et nous percevons là une différence considérable avec la motte de Savignac.

    Située à l’extrême nord de Savignac et de la seigneurie, cette motte est certainement la plus considérable de l’espace considéré, à tel point que Léo Drouyn, dans sa Guyenne Militaire pourtant consacrée aux monuments militaires girondins, l’a intégrée dans son étude. Et il s’en explique : " cette forteresse n’étant séparée du département de la Gironde que par un étroit ruisseau, j’ai cru pouvoir, à cause de son importance, la relier à celles qui font partie de cette contrée. ". Drouyn réalise ensuite une description très minutieuse que nous reportons ici : " la motte est située au bout d’un petit promontoire qui s’avance dans les prairies. Elle borde un mince cours d’eau, qui prend sa source à quelques mètres plus haut, et sert, malgré son peu d’importance, de limite à deux départements, et se dégorge, à 5 km plus bas, dans la Dourdèze, qui se jette dans le Dropt, au-dessous de Duras. Cette motte, de forme ovale, a 53 mètres environ de long sur 40 mètres de large ; elle est séparée du plateau par une coupure dont l’ouverture a 28 mètres de large. Le milieu de la coupure est moins profond que les extrémités ; c’est peut-être plus tard qu’on a exhaussé cette partie pour faciliter l’accès de la motte, dont le sommet est cultivé. Toute la terre de cette coupure ayant été rejetée au dedans, le sol de la forteresse se trouve un peu plus élevé que le plateau dont elle fait partie. Sa hauteur, prise du fond du vallon, est d’environ 10 mètres. Au tiers de son talus existe un chemin de ronde qui fait le tour de la motte, sur laquelle il paraît n’y avoir eu de construction en pierre. On y rencontre çà et là des couches de charbon. ". Des informations complémentaires sont données par Tholin qui se rendit sur les lieux à la même époque. Il signale que la motte fait 260 m de circonférence, que le fossé a 4 m de profondeur et que l’édifice a dû être plus élevé que les 10 m constatés puisque le propriétaire l’a abaissé de près de 2 mètres. C’est également Tholin qui décrit la route " pavée en petites pierres non taillées faisant une seule couche "découverte à " une grande profondeur " au nord et au nord-est de la motte. Il existe toujours à l’époque moderne une route traversant Savignac longitudinalement et se dirigeant vers les ports de la Dordogne. Nous avons vu que c’était la Dordogne qui était choisie pour remonter les vins du Duraquois vers Bordeaux, et on a ainsi une idée de l’importance de cet axe. Il est donc tout à fait imaginable que nous avons ici une motte soumettant cette voie à péage, taxes et motte peut-être à l’origine d’une " seigneurie de Savignac " si toutefois elle a existé.

     

    Les relations entre ces mottes et Duras n’apparaissent pas. Antérieures ou postérieures au château, elles n’ont certainement qu’un rôle local et mineur, alors qu’une véritable seigneurie s’organise autour de Duras aux alentours du début du XIIIe siècle. Le vicomte de Bezaume laisse alors le contrôle du nouveau château au seigneur de Duras.

     

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    II –La naissance de la seigneurie de Duras

     

    A – La première mention d’un seigneur de Duras

     

    La transition entre le bourg castral dépendant directement du vicomte et l’établissement d’un seigneur " indépendant " mais de la famille de Bouville c’est-à-dire de Bezaume n’apparaît pas clairement. En 1177, nous avons toujours affaire au vicomte de Bezaume, Guillaume-Amanieu, alors qu’en 1233, dans un acte du cartulaire de La Réole relatant l’enquête sur l’institution d’un prévôt par le roi Henri d’Angleterre en violation des pouvoirs judiciaires du prieur, apparaît Guillaume de Bouville, seigneur de Duras (" Guillelmi de Bovilla, domino seu toparcha de Duras "). La présence de termes distincts dans cette formule, " dominus " et " toparcha ", a certainement une raison d’être. Mais dans d’autres chartes du cartulaire, on trouve ces deux mots alternativement sans qu’une distinction semble possible. Aussi cette formule alliant les deux termes n’est peut-être qu’une formule assez redondante. Quoi qu’il en soit, l’interlocuteur des bénédictins n’est plus le vicomte de Bezaume lui-même mais un membre de sa famille ; et même un membre très proche puisqu’il pourrait bien être le Guillaume de Bouville présent à Bordeaux lors de la canonisation de St-Géraud le 3 avril 1198 aux côtés de Pierre de Gabarret, vicomte de Bezaume. La création de la seigneurie de Duras est peut-être une conséquence de la mort de Guillaume-Amanieu. Peut-être le jeu des héritages a-t-il fait que le fils aîné du défunt vicomte a conservé la vicomté alors que la seigneurie de Duras est passée dans les mains d’un cadet, Guillaume de Bouville. En 1198 néanmoins, Guillaume n’est pas désigné comme seigneur de Duras, alors qu’il l’est en 1233. Comme Guillaume-Amanieu, Guillaume de Bouville doit traiter avec les Bénédictins de La Réole.

     

     

    B – Les accords entre les seigneurs de Duras et le prieuré de La Réole

     

    Duras, avec son nouveau statut, ne pouvait pas se contenter de l’ancien marché de St-Eyrard, d’autant que l’installation d’un nouveau marché est suggérée dès la plainte de 1137. En 1233, apparaît la première mention d’un marché de Duras, distinct de celui de St-Eyrard.

    On y apprend que Guillaume de Boisville (sic), seigneur de Duras, donne et concède au monastère de La Réole, avec l’assentiment de ses fils, Arnaud et Gaillard, tous les droits et coutumes qu’il a sur les marchés de Duras.

    La création certainement assez violente d’un château puis d’un bourg de Duras a changé totalement la donne. Les bénédictins, largement possessionnés sur les bords du Dropt ont dû céder des terres et des droits au vicomte de Bezaume, puis à son représentant permanent, le seigneur de Duras, membre de la famille de Bouville. Une série d’accords restitue cependant les religieux dans leurs droits, notamment concernant les marchés de Duras. Si nous sommes assez bien renseignés sur l’évolution du statut de St-Eyrard et de Duras ainsi que du prieuré, nous ne possédons que de très rares renseignements sur les autres paroisses qui vont constituer la seigneurie ; or nous pouvons penser que dès sa création la seigneurie de Duras ne s’est pas cantonnée à la paroisse de St-Eyrard. Malheureusement, aucune description complète de la seigneurie n’est faite avant le XVIIe siècle. Par contre, les seigneurs de Duras, qui ont appartenu à trois des plus grandes familles médiévales du duché d’Aquitaine, ne sont pas passés inaperçus dans les textes. Aussi, nous allons maintenant nous intéresser aux seigneurs de Duras, et dans un premier temps aux deux premières familles seigneuriales de Duras, à savoir les Bouville et les Got.

     

    Chapitre II – Bouville et Got : la première élévation du nom de Duras

     

     

     

    L’effacement du vicomte de Bezaume au profit d’un seigneur de Duras vers la fin du XIIe siècle correspond à l’importance croissante de Duras et de ses seigneurs ; ces derniers sont issus de la famille de Bouville au XIIIe siècle, puis de celle des Got au début du XIVe siècle. Si leur nom n’est pas resté gravé à la mesure de celui des Durfort dans les murs de Duras, c’est essentiellement à cause de leur présence réduite à la tête de la seigneurie. Une centaine d’années pour les Bouville, si on exclut la domination directe des vicomtes de Bezaumes, et pas plus de trente ans pour les Got. Mais les premiers sont les fondateurs de la fortune de Duras, et les seconds sont tout aussi importants, ne serait-ce que par ce qu’ils sont les auteurs du monument que constitue le château de Duras, et qu’ils ont donné une nouvelle dimension aux seigneurs de Duras, appartenant alors à la famille du pape Clément V. Ainsi, on ne peut concevoir la grandeur des Durfort-Duras sans analyser auparavant l’œuvre des deux premières grandes familles seigneuriales de Duras.

     

     

     

    I – La fixation d’une dynastie seigneuriale à Duras : les Bouville

     

    La passation de Duras des vicomtes de Bezaume à la dynastie des Bouville de Duras est donc assez floue. Emiettement du pouvoir des vicomtes ou nouvelle forme de mise en valeur, une multitude de personnages se réclamant de la famille de Bouville apparaissent à la tête d’une seigneurie dans l’espace de la vicomté de Bezaume. Parmi ceux-là, on peut citer Guillaume de Bouville et Bernard de Bouville de Soumensac (petite seigneurie à l’est de Duras), coseigneurs de Ste-Bazeilleen 1251, ou encore Arnaud et Ysarn de Bouville, coseigneurs de Pineuilh (d’où est issue la bastide de Ste-Foy-la-Grande) en 1254. Ce même Ysarn de Bouville est d’ailleurs lui aussi coseigneur de Ste-Bazeille en 1254 avec Anissant de Caumont, ce dernier étant le fils d’un Guillaume de Bouville, certainement le précédent coseigneur. Il existe beaucoup d’autres exemples qui montrent l’emprise de cette famille de Bouville dans la Bezaume, Bouville toujours associés aux Gabarret ; et il arrive encore que certains personnages soient tantôt dénommés Bouville, tantôt Gabarret (ou Cabarret), tel Arnaud de Bouville, seigneur de Duras, que l’on appelle parfois Arnaud de Gabarret, " Gavaret " exactement. Car l’orthographe de ces deux patronymes varie beaucoup ; ainsi, pour Bouville, on trouve Beauville, Boisville, Bovisvilla, Bonsevil, Bousville, Boville…

    Tout une dynastie s’est donc établie entre Garonne et Dordogne, et les seigneurs de Duras semblent y occuper une place centrale.

     

     

    A – Généalogie des Bouville, seigneurs de Duras

     

    Trois seigneurs de Duras issus de cette lignée sont formellement identifiables.

     

    1- Guillaume de Bouville : fin XIIe-années 1230

     

    Ce Guillaume de Bouville est le seigneur de Duras que nous avons déjà vu restituer des marchés au prieuré de La Réole. Et c’est sûrement le même qui s’était rendu à la canonisation de Saint Géraud à Bordeaux en 1198, accompagnant le vicomte de Bezaume, Pierre de Gabarret. Il n’est pas alors identifié comme étant seigneur de Duras, aussi nous pouvons supposer qu’il ne l’est pas encore. Il est seigneur de Limeuil par son mariage avec une fille de Geoffroy Rudel, seigneur de Bergerac, et de Mabilie de Clermont-Mirambeau. Lors de la restitution des marchés de St-Eyrard et de Duras, nous apprenons que Guillaume de Bouville a deux fils, co-signataires de cet accord, Arnaud et Gaillard. 

    Le fils de Guillaume, Arnaud, est mieux connu que son père grâce aux informations données par la chancellerie anglaise, les Rôles Gascons essentiellement.

     

    2- Arnaud de Bouville : vers1240 - vers 1250

     

    Si la mention la plus ancienne d’Arnaud remonte à 1233, il n’est dit " seigneur de Duras " qu’en 1242, et nous ignorons depuis quand il l’est. Appelé le plus souvent Arnaldus ou Ernaldus de Boevilla de Duraz, la mention de " seigneur de Duras " –dominus de Duraz- n’est pas systématique quand il ne peut pas y avoir de confusion sur la personne. Le 25 mai 1242, Arnaud est convoqué à Pons en même temps que Pierre de Gaverad, Bernard de Bouville de Soumenzac et Bernand Gaveret de Bouville. En octobre et novembre de la même année, il est au service du roi d’Angleterre avec dix chevaliers et dix valets d’arme. Libéré de son service militaire en 1243, Arnaud de Bouville ne réapparaît qu’en 1254. C’est donc certainement le même Arnaud de Gavaret qui apparaît avec Galhard de Gavaret (son frère) le 22 octobre 1254 comme témoin du comte d’Armagnac. Une grande complicité semble régner entre les deux frères, d’autant qu’Arnaud promet son château de Duras, à une date non déterminée, à son neveu Arnaud de Bonsevil, fils de Gaillard de Bonsevil. Arnaud " oncle " semble donc ne pas avoir d’enfant vivant quand il fait ce testament puisqu’il choisi le fils de son frère pour lui succéder à Duras. Nous pouvons nous demander si ce frère, Gaillard, a possédé une seigneurie propre, ou s’il était coseigneur de Duras avec son frère Arnaud. Alors que cette pratique est répandue dans la famille de Bezaume (Guillaume et Bernard de Bouville pour Ste-Bazeille en 1251 par exemple), aucun élément ne permet de l’affirmer pour Duras. Au contraire, il n’y a jamais eu qu’un seigneur de Duras nommé à la fois, et Arnaud décide seul du don de sa seigneurie, et à une seule personne. En tout cas, nous ne savons pas si Arnaud, fils de Gaillard et neveu du seigneur de Duras, vécut assez longtemps pour hériter de la seigneurie puisque le prochain seigneur de Duras qui apparaît dans les Rôles Gascons, en 1289, s’appelle Bernard, peut-être un autre fils de Gaillard. Le blanc documentaire de près de trente cinq ans s’explique par le traité de Paris de 1259 conclu entre les rois de France et d’Angleterre. Ainsi, si le, roi Henri III conserve Bordeaux, Bayonne et la Gascogne en tant que duc d’Aquitaine et vassal du roi de France, il n’obtiendra l’Agenais et le Quercy qu’à la mort de Jeanne de Toulouse, femme d’Alphonse de Poitiers, frère du roi de France (cette restitution s’est opérée en 1279). Duras et l’Agenais sont donc exclus. Les Recogniciones feodorum, rédigées de 1273 à 1275 à l’initiative d’Edouard Ier pour recenser l’étendue de ses droits dans le duché d’Aquitaine, ne concernent pas Duras et sa seigneurie qui ne s’étendait peut-être alors que sur l’Agenais. Mais nous savons par ailleurs que ces années 1250, où nous perdons la trace des seigneurs de Duras, est une période critique pour la famille de Bouville, puisque son chef, le vicomte de Bezaume, a vu ses vicomtés de Benauges et de Bezaume confisquées dès 1254. Ce n’est pas la disparition totale de cette famille, les Bouville se maintenant notamment à Ste-Bazeille et à Duras bien sûr, mais sa puissance est nettement amoindrie.

    Dans les années 1260, les Bouville de Duras apparaissent dans la Correspondance d’Alphonse de Poitiers à l’occasion d’un litige à arbitrer. En 1267, le château de Duras est possédé par plusieurs membres de la famille de Bouville, Gaillard et Raymond de Bouville demandant le jugement d’Alphonse de Poitiers pour une raison non précisée (le sénéchal d’Agenais est chargé de l’affaire). Gaillard est peut-être le frère d’Arnaud de Bouville seigneur de Duras en 1242, dont le fils devait hériter du château. Quant à Raymond, c’est sa seule apparition dans les textes concernant Duras. Ne connaissant pas le sujet du litige, nous ne pouvons affirmer qu’il s’agit du contrôle de la seigneurie. Ce dont nous sommes certain, c’est que quand le roi d’Angleterre récupère l’Agenais, le seigneur de Duras est à nouveau unique, et il se prénomme Bernard.

     

    3 – Bernard de Bouville : années 1280-1293

     

    Le problème des homonymes se pose une fois de plus avec ce personnage. En effet, en 1253, apparaît un Bernardus de Bovilla, de Duraz, qui doit se rendre auprès du roi-duc, avec trois chevaliers. Ce Bernard ne peut pas être seigneur de Duras puisqu’en 1254 Arnaud l’est toujours, et on peut alors se demander pour quelle raison il est dit de Duras. S’agit-il d’un frère d’Arnaud et de Gaillard qui apparaît plus tard sous le nom de Bernard de Bouville de Soumenzac ?

    Bernard de Bouville, seigneur de Duras, est surtout connu pour le conflit qui l’a opposé au bailli de Ste-Foy-la-Grande, et pour l’enquête que le roi d’Angleterre a commandé contre lui. Dans une première affaire, relatée par les Rôles Gascons, le roi-duc s’affirme en médiateur entre Bernardus de Bovisvilla, dominus castri de Duracio, et le bailli de Ste-Foy-la-Grande, à propos des limites des juridictions de Duras et de Ste-Foy-la-Grande (" super divisione seu limitacione parochiarum sive terrarum justicie seu justiciatus dictorum castri et bastide "). Dès la fin du XIIIe siècle, forte de la protection royale du Roi-duc (en 1279, par le traité d’Amiens, l’Agenais, comprenant la bastide, lui avait été restitué), c’est certainement la bastide qui a cherché à étendre sa zone d’influence au détriment des seigneurs avoisinants. Un premier texte de 1289 expose le litige, et le 20 avril 1289 le seigneur de Duras n’a pas dû obtenir gain de cause puisqu’il décide de faire appel au roi de France (" ad curiam Ffrancie appellaverat ") Philippe IV. Cette décision montre bien que le seigneur de Duras est en position de faiblesse face à la bastide puisqu’il use des dernier recours du droit féodal. Cependant, Edouard Ier n’a pas laissé au roi de France le temps de s’intéresser à cette affaire en a envoyé son sénéchal Jean de Havering régler le litige le 13 juin 1293. Nous ignorons le résultat de cet arbitrage mais nous pouvons penser que la bastide a encore eu gain de cause puisque nous voyons sa juridiction atteindre la paroisse de Landerrouat, au nord d’Esclottes et de Savignac. Cette paroisse, comme certainement d’autres, a pu faire partie de la seigneurie banale de Duras.

    Que le seigneur de Duras perde des paroisses au profit de Ste-Foy-la-Grande et qu’il s’en remette au roi de France vient peut-être d’un début de disgrâce. En effet, dès 1291, le roi Edouard commande une enquête contre celui qu’il nomme " dilectum et fidelem consanguineum nostrum Bernardum de Bovisvilla, dominum Duracii " car des officiers royaux (l’autre partie de cette affaire est : " nos et gentes nostros ", puis plus loin " officiales seu gentes nostras ") se plaignent des mauvais traitements qu’ils reçoivent à Duras et dans sa châtellenie (" injuriis, oppressionibus et gravaminibus in castro et castellania de Duracio "). C’est la première fois que la seigneurie de Duras est évoquée sous le terme de " châtellenie ". Le contexte de changement de suzerain, à partir de 1279, évoquée dans le texte (" a tempore quo terra Agenensis devenit ad manum nostram citra ") est certainement l’origine du refus d’un contrôle du roi d’Angleterre peut-être un peu plus étroit que celui que pouvait exercer Alphonse de Poitiers pour le roi de France. Ce qui est certain, c’est qu’il n’y a plus de Bouville à la tête de Duras après 1293, et qu’en 1306 Gaillard de Got est seigneur de Duras. Est-ce le fruit d’une succession familiale classique ? En 1286, Bernard de Bouville avait désigner un de ces neveux, le fils de Gaillard de Bouville, seigneur de Miramont, comme héritier de Duras. D’autre part, aucune filiation n’a été établie entre les familles Bouville et Got.. Il est envisageable que Bernard de Bouville ait commis des excès tels que sa terre de Duras ait été confisquée, non par le roi d’Angleterre, mais par Philippe IV, puisque c’est ce dernier qui au XIVe siècle en fait le don à la famille de Got. Ce retour rapide de la couronne de France en Agenais est peut-être liée à l’occupation de l’Aquitaine opérée par Philippe le bel dès 1294. On peut imaginer que les seigneurs de Duras ont payé leur soutien au roi d’Angleterre, ou que des seigneurs intéressés par Duras (les Got en l’occurrence) ont profité de cette guerre et de la bienveillance du roi de France pour s’emparer du château.

    Mais avant d’analyser le court passage de la famille papale à Duras, intéressons nous à ce que nous pouvons appréhender du passage des Bouville à Duras même : de l’étendue de la seigneurie et de l’importance qu’ils ont donnée au château.

     

    B – Les spécificités de " l’ère bouville "

     

    1 – L’étendue de la seigneurie

     

    Comme nous l’avons vu, la seigneurie de Duras a pu être réduite par suite de l’expansion de la bastide de Ste-Foy, mais tout ceci reste du domaine de l’hypothèse. Par contre, nous avons la certitude qu’au XIIIe siècle la seigneurie était plus réduite dans sa partie ouest, voire qu’elle se bornait aux limites du diocèses d’Agen. En effet, dans un acte du 21 mars 1274, Bertrand de Bouville, damoiseau, reconnaît que lui-même et ses frères, R. de Bouville, archidiacre d’Agen, et Bernard de Bouville, chanoine de Périgueux, tiennent en fief, en indivis, directement du roi d’Angleterre […] Landerrouat et la paroisse d’Esclottes, de Baleyssagues, de Dieulivol, avec leur dépendances, la paroisse de Ste-Colombe, et tout ce qu’il tient ailleurs dans le diocèse de Bazas. Ce texte, très intéressant, nous apporte de nombreuses informations. Tout d’abord, que les paroisses de Baleyssagues, Ste-Colombe et Esclottes appartiennent à la famille de Bouville. Selon Julien-Laférierre, ce Bertrand de Bouville et ses frères pourraient être les fils d’un autre Bertrand de Bouville, que nous avons vu plus haut dénommé successivement Bertrand de Bouville de Duras puis de Soumensac. Une fois de plus, le système de la coseigneurie est appliquée ici, mais il semble bien qu’il n’ait pas survécu à ces trois personnes. En effet, nous avons émis l’hypothèse d’une spoliation de Landerrouat par Ste-Foy, et nous avons la preuve qu’en 1274 cette paroisse appartenait à des Bouville. Nous pouvons imaginer que le seigneur de Duras a hérité de cette partie du Bazadais par la suite, d’où l’étendue de cette seigneurie sur deux diocèses à l’époque moderne. C’est d’ailleurs des années 1250 à 1270 que nous avons le moins d’informations concernant la seigneurie de Duras. Si les procès des années 1290 concernent bien Landerrouat notamment, c’est donc que le seigneur de Duras l’avait assimilé à sa juridiction, peut-être comme les autres paroisses bazadaises que sont Baleyssagues, Ste-Colombe et Esclottes, qui sont restées dans le cadre de la seigneurie. Nous devons cependant remarquer que la paroisse d’Anzas n’est pas mentionnée dans la reconnaissances des frères Bouville. Etait-elle déjà démembrée au point d’être quantité négligeable ? On peut difficilement imaginer qu’une aussi petite paroisse ait pu faire partie d’une autre entité seigneuriale alors que la plupart de ses paroisses limitrophes sont énumérées. Elle est peut-être comprise dans l’expression " tout ce qu’il tient ailleurs dans le diocèse de Bazas ".

    Il est également révélateur que cette litanie de paroisse ne constitue pas une réelle entité. L’assimilation à une seigneurie préexistante est ainsi facilitée. D’autant que l’on s’aperçoit dans la suite de ce texte que les liens entre ces paroisses et Duras existent, ne serait-ce que du fait de la proximité. En effet, les frères Bouville doivent pour ces possessions le service militaire au roi d’Angleterre. Service qui se limite à un seul chevalier, qui doit se rendre au camp de Duras. Nous avons donc le paradoxe assez surprenant d’un ost dépendant du roi d’Angleterre se réunissant dans une place forte probablement dépendante du roi de France. Nous voyons donc bien que l’autorité française a du mal à s’implanter dans une région qui dépend traditionnellement du duc d’Aquitaine. Et si nous reprenons la thèse de ces trois frères également impliqués dans l’exploitation de la seigneurie de Duras, son château devient on ne peut plus logiquement le point de ralliement de " l’ost ". Pour en revenir à la seigneurie, on peut penser que c’est dans les années 1280 qu‘elle a pris la morphologie qu’elle a conservée jusqu’à son démembrement, avec bien sûr des hiatus dus aux événements historiques. Cependant, Savignac pourrait avoir intégré la seigneurie d’une autre façon puisqu’en 1274 un certain Auger Cot en était certainement le seigneur.

    Nous venons de voir que le château de Duras servait de point de ralliement aux Bouville possessionnés à ses abords. Essayons d'évoquer ce que devait être le château à cette époque.

     

    2 – Le château de Duras des Bouville

     

    Il n’est pas possible de dire grand chose de ce château puisqu’il n’en existe plus la moindre pierre. En fait, c’est surtout à son emplacement que nous allons nous intéresser. Si nous analysons le plan du château, nous voyons qu’il est séparé du bout de l’éperon sur lequel il se dresse par un espace utilisé à partir du XVIIe siècle comme terrasse d‘agrément. De 30 mètres de large et de 35 mètres de long sans considérer le demi cercle qui constitue son extrémité, ce parterre est séparé du château par un fossé étroit. Comme le suggèrent L. Drouyn ,J. Gardelles ou encore H. Guilhamon ce promontoire a dû servir d’emplacement au premier château de pierre, celui des Bouville.

    Le premier élément qui permet de le penser relève de la simple observation du site. En effet, il est probable que l’extrémité arrondie du plateau ait servi de base à la première motte médiévale. Et si cette dernière a évolué en forteresse, il n’est pas logique que le site de ce premier château et celui du château actuel aient été séparés de plus de trente mètres, sans raison. L’emplacement du château de Duras ayant été choisi en fonction des protections naturelles qu’il offrait, il est difficilement imaginable que les architectes de la première forteresse aient négligé l’utilisation des abrupts. D’autre part, cet espace vide constituerait une faiblesse évidente du système des fortifications. Et justement, le récit des deux grands sièges que connut le château de Duras suggère une fortification au Moyen Age de ce parterre, correspondant très certainement au château primitif. Froissart relate dans ses chroniquesqu’en 1377 le maréchal de France, Louis d’Anjou, et le connétable du Guesclin, décident de faire le siège du château. Pour ce faire, ils sont contraints d’assaillir la ville dans un premier temps afin de pouvoir ensuite organiser le siège de la forteresse. Le village pillé, le maréchal et le connétable observent le château, et voici ce qu’en dit Froissart : " en allèrent aviser le Castiel et voir par quel côté on le porrait assaillir et prendre. Tout ymaginet, ils le trouvèrent merveilleusement fort et disent que sans lonc siège il n’estoit miez à prendre ". Au XIVe siècle, le château de Duras est donc réputé quasi imprenable (il n’est d’ailleurs pas pris puisque la garnison s’est rendue) et n’a pas de point faible flagrant, ce qui n’est plus du tout le cas au XVIe siècle, quand Blaise de Montluc vient à Duras, à la poursuite de Jeanne d’Albret. Nous sommes alors en 1563, et la bastide de Monségur vient de subir les horreurs des guerres de religion. Impressionnée par ce massacre, et la reine de Navarre ayant déjà quitté Duras, la ville se rend sans combattre. Mais il est précisé : "  quoiqu’il n’y eut que 150 hommes de défense dans la place de Duras, le château paraissait presque imprenable, et on ne pouvait l’attaquer que par les jardins de derrière ". Apparaît alors un défaut des fortifications qui n’existait pas en 1377, ce parterre. Favre ne précisant pas sa source concernant ce récit, on ne sait pas s’il était vraiment question d’un jardin, car ce n’est qu’avec les importants remaniements du XVIIe siècle qu’ on implante des jardins autour du château. En tout cas, si ce récit est bien contemporain aux faits qu’il relate, il est évident que cet espace non fortifié est assez récent. Aussi, il est très probable que la château des Bouville ait occupé ce vide, et qu’il est coexisté un temps avec celui des Got, justifiant peut-être le pont-levis qui liait le château actuel et la parterre.

    D’autres éléments semblent montrer l’existence de deux sites différents, utilisés conjointement dans un premier temps. Tout d’abord, le château de Duras semble avoir servi à diverses reprises de " coffre-fort " pour la famille de Got. En effet, dès 1308, et peut-être même avant, 300000 florins d’or paraissent avoir été mis en dépôt dans le château de Duras. Or, la mention la plus ancienne d’un Got seigneur de Duras remonte à 1305, et cette famille n’a pas pu s’y installer avant 1293, Bertrand de Bouville étant alors seigneur. Il est difficilement envisageable qu’en dix ans au grand maximum les Got aient pu faire édifier une forteresse de 110 m de long sur 30 de large. Aussi, on peut imaginer que le château préexistant à leur arrivée était déjà monumental puisque les Got, dont les possessions se multiplient au début du XIVe siècle, le choisissent. Un autre dépôt semble avéré, après la mort de Clément V, en 1314, le château de Duras accueillant une partie du trésor et Villandraut l’autre. Cette confiance en la force du château de Duras, une des très nombreuses possessions des Got, semble bien démontrer que le château des Bouville était déjà imposant. Une fouille de la zone correspondant à ce château, jamais réalisée jusqu’à présent, pourrait confirmer l’emplacement exact du fort. La cour intérieure du château actuel, comprise entre les quatre tours du bâtiment principal, a elle été fouillée récemment, et les conclusions révèlent que le corps central du château de Duras remonte au XIV siècle. Or, nous avons la certitude qu’un château existait auparavant, l’actuelle terrasse semblant son site le plus vraisemblable.

     

    Les seigneurs de Duras issus de la famille de Bouville sont donc les fondateurs de Duras. Créant une entité nouvelle et lui donnant peut-être dès le XIIIe siècle ses limites définitives, ils ont inauguré l’alternance des sujétions, se retrouvant le plus souvent dépendant de la couronne d’Angleterre mais un temps de celle de France. Leur extinction à Duras comme pratiquement partout en Aquitaine reste assez mystérieuse, même si le retour armé de l’obédience française semble avoir joué un rôle. Et c’est justement une famille comblée d’honneurs par Philippe IV qui succède aux cousins du roi d’Angleterre, la famille gasconne de Got.

     

     

     

     

    II –La famille de Got et Duras : un maillon de leur puissance

     

    Contrairement aux Bouville qui ont eu tendance à se partager de petites seigneuries, les Got apparaissent comme une puissante dynastie qui accumule les titres, les honneurs et les revenus. Duras, forteresse imposante mais concurrencée par le château de Villandraut notamment, et à l’espace limité comparé aux vicomtés de Lomagne et d’Auvillars que reçoit le chef de cette famille des mains du roi de France, perd de son prestige mais une nouvelle heure de gloire se prépare avec l’édification d’un nouveau château. Intéressons nous donc aux trois décennies de transition où la présence des Got et de leur argent a permis à Duras de changer de visage.

     

     

     

     

     

    A – Généalogie des Got seigneurs de Duras : avant 1305-1331

     

    Trois personnes appartenant à cette lignée ont été seigneur de Duras entre 1305 et 1325 : Gaillard de Got, frère et maréchal du pape Clément V ; son neveu Bertrand, fils d’Arnaud-Garcie ; et la fille de Bertrand, Régine, comtesse d’Armagnac.

     

    1 – Gaillard de Got

     

    Sa présence à la tête de la seigneurie de Duras a longtemps été ignorée, si bien que l’on attribuait la présence de Duras dans les possessions de cette famille à son neveu Bertrand, ce dernier l’ayant reçu des mains du roi de France. Mais dans le testament que rédige Gaillard de Got le 16 janvier 1305, nous voyons qu’il lègue Duras et Montgaillard à son neveu Bertrand, c’est donc bien qu’il les possédait. Nous avons déjà émis plusieurs hypothèses concernant la présence de cette famille, allant de liens familiaux aujourd’hui oubliés à une conquête armée, en passant par un don du roi de France, non à Bertrand mais à son oncle. Gaillard semble bien ne pas avoir hérité de son père Béraud de Got, ni de sa mère Ide de Blanquefort, et nous devons donc le considérer comme le premier Got seigneur de Duras, et ce avant 1306. Gaillard est un des frères de Bertrand de Got archevêque de Bordeaux puis premier pape d’Avignon. Son mariage avec Alpaïs de Bugat ne semble pas avoir été fécond, mais cette dernière possédait deux fils issus d’un premier mariage avec Arnaud de Durfort, Raymond-Bernard et Arnaud. Cependant, c’est le fils de son frère Arnaud-Garcie que Gaillard choisi comme héritier à Duras notamment, Bertrand, qui est, avec son oncle Clément V, le plus illustre représentant de sa famille au XIVe siècle. Cependant, les deux Durfort ne sont pas oubliés puisque Gaillard les appelle ses neveux, et les désigne comme ses héritiers éventuels au cas où les membres de sa famille à qui il laisse son héritage viendraient à mourir sans enfants. Et pour resserrer encore les liens avec la famille de Durfort, Gaillard fait marier Arnaud, fils de sa femme, à Marquise de Got, fille de son frère Arnaud-Garcie vers 1300. Cette union aura une grande importance après l’extinction prématurée de la lignée masculine des Got ( Béraud, père de Gaillard et de Clément V avait pourtant eu onze enfants, dont cinq garçons, deux ayant épousé la carrière ecclésiastique, pour devenir respectivement pape et archevêque de Lyon), et du premier des seigneurs de Duras du XIVe siècle, Gaillard. En effet, celui-ci connaît une fin brutale le 11 novembre 1305, à Lyon, lors du sacre de son frère, apparemment tué lors d’une rixe entre les cardinaux italiens et ceux du nouveau pape. Dès 1306, Bertrand est donc seigneur de Duras.

     

    2 – Bertrand de Got, vicomte de Lomagne et d’Auvillars

     

    C’est avec ce neveu du pape que Duras réapparaît dans les Rôles Gascons. En effet, vers 1312-1313, " Bertrandus del Got, dominus de Duracio et de Blankeford ", reçoit du roi d’Angleterre le château de Puyguilhem en Périgord et la bastide de Monségur en Bazadais. C’est un des rares textes où Duras apparaît comme la possession principale de Bertrand, étant surtout connu pour être à la tête de deux importantes vicomtés, Lomagne et Auvillars, données par le roi de France Philippe IV. Nous voyons d’autre part que déjà les seigneurs gascons reçoivent des biens des deux souverains. Ainsi, Bertrand se constitue un patrimoine considérable, étant, outre les six titres déjà cités, marquis d’Ancône, seigneur de Villandraut, de Coutures, d’Allemans, de Puysserampion, de Lesparre, de Dunes, de Donzac, de Portets, de Castres et d’Arbanats.

    Ainsi, la seigneurie de Duras n’est plus au premier plan. Mais c’est une période fondamentale pour elle car c’est sûrement à l’initiative de Bertrand qu’un nouveau château y est bâti. L’héritière de Bertrand, sa fille Régine, épouse de Jean, comte d’Armagnac, ne résidait pas à Duras. Par contre, on peut penser que Bertrand avait une considération particulière pour Duras puisqu’elle constituait une de ses premières seigneuries, du vivant de son père Arnaud-Garcie (mort vers 1310), et que Bertrand a choisi cette forteresse, au même titre que Villandraut, le berceau familial, pour y protéger diverses fortunes.

    En 1324, le 19 mai, quand il rédige son testament, Bertrand de Got fait de sa fille unique, Régine, son héritière universelle. Comme son oncle Gaillard, il rédige divers codicilles, dont deux concernent Duras. Le 19 mai, on apprend que si Régine meurt sans héritier, Aymeric de Durfort, fils d’Arnaud de Durfort et de Marquise de Got (Aymeric est donc neveu de Bertrand), obtiendra Duras, Puyguilhem, Allemans et Monségur avec leurs dépendances, et la charge de deux chapellenies. Un deuxième codicille, du 22 mai 1324, expose les recours d’Aymeric s’il refuse Duras. Le vicomte de Lomagne et d’Auvillars doit mourir peut de temps après ce deuxième codicille puisque, dès le mois d’août 1325, c’est au tour de sa fille de faire son testament où nous trouvons parmi ses biens tout ce que possédait son père, y compris Duras.

     

    3 – Régine de Got, comtesse d’Armagnac

     

    C’est la seule fois dans l’histoire de Duras qu’une femme est directement seigneur. Cette originalité, combinée à son très court passage à la tête de la seigneurie (elle hérite de son père après mai 1324 et meurt en 1325, après le mois d’août), font qu’on oublie systématiquement de la nommer parmi les seigneurs de Duras. Il est cependant exact qu’elle n’a laissé aucun souvenir à Duras, et que même ses derniers vœux n’ont que peu compté dans le règlement de sa succession. En effet, dans son testament, elle lègue tout ses biens , y compris les vicomtés de Lomagne et d’Auvillars et Duras, à son mari. S’il mourrait sans héritier, l’ensemble de ses possessions reviendrait à ses cousins Aymeric et Gaillard de Durfort, ainsi qu’à trois autres de ses cousines. Or, dès l’année de sa mort, deux branches de la famille Durfort, les Flamarens et les Lacour, réclament l’application des codicilles de Bertrand de Got, sa fille étant morte sans enfant, contestant le testament de Régine.

    La comtesse d’Armagnac est la dernière à avoir associé le patronyme des Got à la seigneurie de Duras. Mais c’est à un Got que revient la construction d’un chef d’œuvre d’architecture, le château de Duras.

     

     

    B – L’œuvre des Got

     

    On ne peut évoquer le passage de ce lignage son évoquer l’édification du nouveau château de Duras. Malgré un profond remaniement au XVIIe siècle pour transformer cette forteresse en château, si ce n’est de plaisance, du moins pour le rendre plus conforme aux canons esthétiques d’alors, nous imaginons très bien comment était le château de XIVe siècle, l’ossature principale n’ayant pas été modifiée. L’intérieur du château ayant été fortement remanié, notamment par la construction de nouveaux corps de logis, d’une grande salle à l’entrée du château et l’aménagement des sous-sol en communs, nous ne décrirons que l’enceinte fortifiée telle qu’elle était au XIVe siècle. Bien qu’on n’en possède pas de preuve, ce sont les Got qui ont selon toute vraisemblance édifié le nouveau château, dont l’architecture rappelle très exactement celles des autres forteresses édifiées par cette famille. Ainsi, le corps principal du château est une masse carrée de trente mètres de côté, avec quatre tours d’angle. Ces tours, très épaisses et très élevées, ne possèdent aucune meurtrière à leurs étages inférieurs. Elles sont renforcées à la base par un empattement qui double pratiquement l’épaisseur des murs aux tours nord et ouest. Des courtines, assez élevées, reliaient les tours. A l’angle est se trouvait le donjon, de forme barlongue, terminé en demi-cercle. Le système de fortification ne se résumait pas à ce carré. Le corps principal est continué d’une immense basse-cour, de près de quatre vingt mètres de long, suffisamment spacieuse pour accueillir un grand nombre de Duraquois en cas de danger. Cette vaste cour, entourée de courtines, est terminée par deux tours d’entrée dans l’alignement des quatre précédentes, et une archère en croix pattée est encore visible sur l’une d’elle (ces tours ont aussi étaient remaniées au XVIIe siècle, mais ont gardé leur base médiévales). Si on ajoute à cet immense ensemble la possibilité de la persistance du premier château, on arrive à une impressionnante enceinte qui occupe toute la largeur du plateau, avec une muraille supplémentaire regardant le Dropt. C’est à l’intérieur de cette fortification qu’a été installée la chapelle Ste-Marie-Magdelaine, cette dernière comprenant sous ses deux ailes deux salles de garde munies de meurtrières. Le bourg de Duras est également entouré de murailles, mais on peut penser que la construction d’un nouveau château a forcé le bourg à évoluer. En effet, un grand fossé a été creusé entre le nouveau fort et la ville, ce qui a forcément entraîné l’édification d’une nouvelle muraille et d’une nouvelle porte communiquant avec le château. Nous pouvons d’ailleurs imaginer que l’ensemble des fortifications de la ville a été refait à cette époque, la porte du haut ayant d’ailleurs une architecture relevant du XIVe siècle. Mais il est vrai que nous ne savons rien de l’organisation défensive de la ville elle-même sous les Bouville ; le seul élément certain étant l’installation du prieuré à Duras même.

    Une ville et un château ainsi remaniés donnent encore plus de valeur à une seigneurie. Dans le deuxième codicille de son testament, Bertrand de Got procède justement à une évaluation de la seigneurie. Bien sûr nous ne savons pas si les travaux de rénovation sont terminés, mais cela ne compte finalement pas autant que le revenu offert par la seigneurie. Ainsi, Bertrand lègue à son neveu Aymeric de Durfort 300 livres tournois de revenu annuel, qui devront être assises dans un lieu convenable avec droit de justice, à condition qu’il abandonne ses droits sur le " castrum " et la " castellania " de Duras. A titre de comparaison, dans l’affaire de la succession des vicomtés de Lomagne et d’Auvillars à partir de 1325 (sur laquelle nous reviendrons plus en détail ultérieurement), Jean de Durfort-Flamarens accepte 1114 livres de revenu contre l’abandon de ses droits sur les deux vicomtés. On voit donc que la seigneurie offre des revenus convenables par rapport à son étendue, et surtout que les seigneurs de Duras sont toujours nantis du droit de justice puisque c’est un des éléments de la renonciation. Mais d’abandon de cette seigneurie il n’est pas question pour les Durfort-Lacour neveux de Bertrand de Got.

     

     

    C – La transmission de la seigneurie de Duras des Got aux Durfort

     

    Si Bertrand de Got avait réussi à se bâtir un impressionnant réseau de possessions, tant dans la zone d’influence française qu’anglaise, son œuvre ne lui a pas survécu. Ainsi, sa fille le suivant de peu dans la tombe, plusieurs héritiers réclament la succession, en vertu des différents testaments. Dans un premier temps, le comte d’Armagnac prétend tout garder, suivant les dernières volontés de sa femme. Mais la famille Durfort, grande bénéficiaire des substitutions de Bertrand, ne l’entend pas de cette oreille. Aymeric, fils aîné d’Arnaud de Durfort et de Régine de Got, demande l’application du deuxième codicille de 1324, qui doit lui donner entre autres terres Duras. Mais ce n’est que six ans plus tard, en 1331, qu’Aymeric et le comte d’Armagnac s’entendent, après, semble-t-il, l’arbitrage de Philippe IV qui approuve cet accord. Ainsi, la famille Durfort reçoit Duras, Montgaillard, Allemans, Puysserampion et Seyches. Dans le même temps, une autre branche des Durfort, les Flamarens, tente également de faire valoir ses droits. En effet, Bernard de Durfort-Flamarens a épousé une autre sœur de Bertrand de Got, Régine, avec qui il a eu un fils, Jean, et plusieurs filles. Alors que le père s’était battu pour que son fils récupère la partie la plus importante de l’héritage, c’est-à-dire les vicomtés de Lomagne et d’Auvillars, Bernard meurt juste après avoir obtenu un accord de partage des vicomtés avec le comte d’Armagnac. Son fils, Jean, encore mineur, ne peut s’occuper seul de ses affaires, et laisse son procureur accepter une rente contre l’abandon de ses droits. Mais le petit Jean décède à son tour, entre 1333 et 1335, et l’autre branche des Durfort, celle d’Aymeric, réclame alors à son compte les vicomtés et autres possessions de Bertrand de Got devant le parlement de Paris en vertu des substitutions prévues par le testament. Le roi d’Angleterre Edouard III, constatant que Blanquefort, aux portes de Bordeaux, fait partie de l’héritage, intervient pour que ce soit Aymeric qui récupère cette forteresse, le comte d’Armagnac étant un allié notoire du roi de France. De son côté, le sénéchal d’Agenais défend les droits du comte. Finalement, c’est encore une fois de plus le roi de France qui règle le litige en 1336. Alors que le comte d’Armagnac remet entre les mains de Philippe le Bel les deux vicomtés, Blanquefort et Veyrines contre le comté de Gaure, le roi de France donne à Aymeric (" Aymeri de Durfort, seigneur de Duraz et de Lacour ") Villandraut, Blanquefort et la moitié de Veyrines, mais ce dernier doit définitivement oublier ses prétentions sur les vicomtés.

    Comme tous les accords basés sur des compromis, ce traité de 1336 n’a dû satisfaire personne. Cependant, alors que la lutte reprend entre les souverains français et anglais, il est important qu’ils aient le soutien des seigneurs installés sur les zones frontières comme les seigneurs de Duras. Ainsi, dès 1336, en cas de guerre en Guyenne, Philippe IV prévoit de fournir à Aymeric cinq hommes d’armes et quinze sergents à pied pour défendre Blanquefort. Quant à Duras, il est tout simplement prévu que son seigneur le rende au roi de France.

     

    Nous avons donc pu constater une assez grande stabilité d’inféodation pour Duras sous les Bouville et les Got. Les premiers, à part une courte période un peu floue où Alphonse de Poitiers a possédé l’Agenais, ont toujours été assez proches du roi-duc. C’est l’inverse qui se produit sous les Got, avec de nombreux contacts avec la couronne de France, qui font que la première couvre de biens la seconde, au point que Duras n’est plus qu’une possession parmi d’autres, parfois plus importantes. Avec l’arrivée des Durfort en 1331, mais surtout à partir de l’accession de Gaillard de Durfort à la tête de Duras, et malgré, une fois de plus, la multiplication des possessions, Duras redevient le berceau de ses seigneurs, le fief principal et éponyme de la famille.

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    Chapitre III – Les Durfort : cinq siècles de rayonnement

     

     

     

    Héritiers de Duras en 1331 et définitivement chassés à la fin du XVIIIe siècle, suite à la Révolution française, les Durfort sont bien sûr ceux qui ont le plus profondément marqué l’histoire de la seigneurie. Même s’ils n’atteignent les plus grands honneurs qu’à l’époque moderne, en faisant de Duras un duché-pairie et en obtenant le maréchalat, les Durfort-Duras font déjà partie au Moyen Age des grands féodaux d’Aquitaine. Aussi, tout au long de la guerre de Cent Ans, souverains français et anglais vont faire leur possible pour attirer ces puissants et influents seigneurs de leur côté. Les Durfort-Duras vont profiter sans vergogne de cette position de force, sans hésiter à changer de camp chaque fois que leur intérêt le réclamait. Contrairement aux Bouville et aux Got, les Durfort ont eu la chance de toujours avoir un héritier mâle, la plupart ayant été de brillants hommes de guerre et d’excellents négociateurs. Cependant, nous séparerons ces seigneurs en trois groupes, en considérant d’abord les deux frères aux personnalités si différentes, Aymeric et Gaillard dit l’archidiacre, ce dernier étant le géniteur de la dynastie des Gaillard à Duras et le vrai fondateur de la famille. Puis, nous analyserons l’action de ses deux successeurs, Gaillard II et Gaillard III, respectivement sénéchaux d’Aquitaine et des Landes, impliqués dans le conflit franco-anglais. Puis nous terminerons par Gaillard IV, surnommé le proscrit, qui conclut l’épopée des Durfort-Duras auprès des rois d’Angleterre.

     

     

     

    I – Les frères fondateurs : Aymeric et Gaillard I

     

    Quand Arnaud de Durfort, grand père d’Aymeric et de Gaillard, meurt vers 1260, l’avenir de ses deux fils, Arnaud et Raymond-Bernard, apparaît bien sombre. En effet, leur mère, Alpaïs de Bugat, avait sûrement été déshéritée de ses droits sur Lacour et Moissaguel, le berceau de cette branche. Le remariage d’Alpaïs avec Gaillard de Got avait permis à ses enfants de se placer auprès d’une des plus influentes familles gasconnes. Raymond-Bernard devient ainsi jusqu’en 1341 évêque de Périgueux alors qu’Arnaud épouse Marquise de Got, ce qui permet à Aymeric d’hériter notamment de Duras, alors que Gaillard fait une carrière ecclésiastique fulgurante. Intéressons nous donc à ces deux frères, et tout d’abord à l’aîné, premier Durfort détenteur de Duras.

     

     

    A – Aymeric de Durfort : la carte française ?

     

    C’est donc a partir de 1336 et le dernier arbitrage du roi de France que la situation se clarifie pour Aymeric. Dénommé " co-seigneur de Clermont–Dessus " avant octobre 1336, il est par la suite " seigneur de Duras ". Ses possessions forment un ensemble assez incohérent, mais toutes chevauchent la zone frontière (Moissaguel, Lacour, Villandraut, et bien sûr Duras) ou ont un emplacement éminemment stratégique (Blanquefort). S’il semble très attaché à Lacour, son berceau familial, son titre associé est toujours " seigneur de Duras ". Alors que le conflit armé se précise entre les deux grands souverains occidentaux, Aymeric semble prendre parti pour le roi de France, même si certains éléments tendent à démontrer qu’il hésite beaucoup. En effet, le 26 décembre 1338, le roi Jean de Bohême, lieutenant du roi de France en Languedoc, non seulement annule les lettres par lesquelles Aymeric s’engageait à rendre Duras au roi de France en cas de conflit en Guyenne, mais en plus reconnaît le seigneur de Duras et son frère Bernard innocents des fautes qui leur sont reprochées, ces fautes étant certainement une trahison à la cause du roi de France. Cependant, Aymeric continue de recevoir des places fortes de Philippe VI de Valois, et le 16 avril 1339 obtient la garde de Puyguilhem. D’autre part, le 23 juillet 1341, Aymeric est dénommé " dominus de Duracio et de Curte ". Peut-être la garde de Puyguilhem est-elle donnée pour compenser les pertes de Veyrines, et surtout de Blanquefort, trop proche de Bordeaux pour les laisser aux mains d’un partisan du roi de France. Car Aymeric, contrairement à ses successeurs, ne s’est certainement pas installé à Duras, et s’est surtout intéressé à ses possessions plus éloignées de la Gascogne. Ainsi, quand son oncle Raymond-Bernard, évêque de Périgueux, meurt en 1341, et lègue tous ses biens meubles à Arnaud, fils d’Aymeric, c’est à Lacour qu’est entreposé l’héritage, et non à Duras.

    Mais Aymeric n’a certainement pas été le serviteur dévoué à la cause des Valois qu’il pourrait paraître. En effet, outre l’accusation de trahison et l’obligation levée de rendre Duras au roi de France, le seigneur de Duras ne devait pas être en très mauvais terme avec les Anglais puisque après sa mort, sa veuve s’est vue accorder par la jurade de Bordeaux l’insigne et rare dignité, surtout pour une femme, de bourgeois de Bordeaux par grâce spéciale, eu égard à sa grande vieillesse et en considération des services rendus par son mari.

    Cependant, à la fin de sa vie, il soutient clairement Philippe VI puisqu’il combat auprès de son cousin le comte Bernard de l’Isle Jourdain, commandant des troupes françaises du Périgord. Ainsi, le 21 octobre 1345, selon Froissart, il est tué à Auberoche. Nous savons qu’il a un fils dénommé Jean en 1341 puisque ce dernier hérite de la fortune de son grand-oncle l’évêque de Périgueux, mais il n’est pas certain qu’il était encore vivant au décès de son père puisque aucun acte le désignant comme seigneur de Duras n’a été mis au jour.

    A sa mort, Aymeric a encore quatre frères vivants ; l’héritage n’est donc pas menacé. C’est son frère le plus âgé, pourtant engagé dans une carrière ecclésiastique, même s’il n’a pas reçu les ordres majeurs, qui décide de changer complètement de vie et de prendre la succession de son frère dans cette époque particulièrement troublée.

     

     

    B – Gaillard Ier l’Archidiacre

     

    Gaillard, né vers 1299, a profité très jeune de sa filiation avec les Got. Ainsi, dès 1309, il est chanoine de Saintes et reçoit de Clément V des revenus sur le diocèse de Saintes, ainsi que le prieuré bénédictin de Montcarret. A la même époque il est chanoine d’York, avec dispense de résidence. Ses bénéfices explosent en 1314 quand son oncle Raymond-Bernard devient évêque de Périgueux puisque la totalité des charges de ce dernier lui échoient : chanoine et archidiacre de Périgueux, d’Aurillac, d’outre Loire à Angers, et chanoine et chantre de Cahors. Il obtient également divers revenus de prieurés et d’églises, et tout cela alors qu’il n’a pas encore quinze ans. Gaillard n’est cependant pas qu’un amasseur de revenus puisqu’il poursuit des études brillantes à Toulouse. Ainsi en 1332 il est bachelier en décret, puis docteur en 1341 et enseigne à Toulouse. Dès 1318, l’ensemble de ses charges apparaissant tout de même un peu exagérées pour un seul homme, il avait résigné les canonicats de Périgueux, d’Angers et d’Aurillac.

    Quand son frère meurt en 1345, il suit donc une carrière ecclésiastique très brillante, mais il doit en être lassé, tout comme de l’enseignement. Aussi, quand l’occasion se présente de faire briller son esprit autrement que par le droit, il n’hésite pas, abandonne une vie ecclésiastique qu’il ne mène guère, et épouse Marguerite de Caumont. Avant ce changement de cap, Gaillard ne menait pas une existence particulièrement rangée, et dès 1323 il avait fait scandale à Périgueux en voulant enlever une femme mariée, Armande de Coste. D’autre part, il a su faire preuve très tôt d’opportunisme et de sens de la conciliation puisque, si en 1341-1342 il se bat contre les seigneurs de Caumont et d’Albret pour des raisons un peu floues, le 21 mai 1344 il signe, du vivant de son frère Aymeric, une alliance pour la défense mutuelle de leurs terres avec les mêmes Bertrand d’Albret, Gaillard de la Motte et Guillaume-Raymond de Caumont, et se marie deux ans plus tard avec Marguerite de Caumont. Nous pouvons certainement penser que Gaillard n’a pas attendu la mort de son frère pour s’intéresser au patrimoine familial, et c’est peut-être certainement lui qui a poussé son frère a réclamer avec insistance son héritage.

    En 1345, Gaillard est donc seigneur de Duras, et va vite corriger la politique de son prédécesseur. En effet, il constate que la majorité de ses terres sont situées dans la zone d’influence anglaise, et que les récentes victoires remportées par Derby n’augurent pas une victoire rapide de la cause des Valois. On a alors pu penser que le comte de Lancastre avait conquis par la force le château de Duras, mais c’est certainement de très bon gré que le 26 novembre 1345 Gaillard se rend à La Réole et fait sa soumission à Derby, emmenant avec lui deux de ses frères et beaucoup d’autres seigneurs locaux apparentés au seigneur de Duras. Bien évidemment, un tel revirement n’est pas gratuit, et Edouard III se montre reconnaissant. Outre la récupération de Blanquefort ( Gaillard est désormais appelé " dominus de Duracio et de Blancofforti "), le roi d’Angleterre lui assigne en 1348 une rente de 2000 écus d’or assise sur les bastides et lieux de Miramont, Castelsagrat, Molières et Beaumont où il exercera le droit de justice contre un hommage au roi-duc. Il est vrai qu’en 1345, lorsque Gaillard avait négocié son passage au camps anglais, le montant de ses pertes avait été évalué à 3000 livres tournois par an par Derby.

    Malgré ces avantages, Gaillard n’est pas persuadé d’avoir fait le bon choix. Aussi, dès octobre 1349, fait il alliance avec le comte de Foix (l’amitié entre les familles de Foix et de Durfort-Duras est une constante tout au long du Moyen Age), alors lieutenant du roi de France en Gascogne. D’autre part, son parent le sire de Caumont, commissaire du roi de France chargé de faire respecter les trêves, l’encourage à retrouver le giron français avec ses frères, en leur faisant miroiter 26000 écus d’or. Ainsi, la fratrie accompagnée d’autres personnages comme Bertrand de Got, sire de Puyguilhem, leur cousin, soutient à nouveau les Valois en 1350. La somme considérable promise est très vite revue à la baisse par Charles d’Espagne, connétable du nouveau roi Jean II le Bon, puisqu’en 1352 il n’est plus question de 26000 mais de 14000 écus pour aider les Durfort à entretenir leurs garnisons, accompagnés de 1500 livres tournois de revenu annuel. Dans le même temps, celui que l’on continue à appeler " seigneur de Duras et de Blanquefort " a été dépossédé de cette dernière forteresse. Si le roi de France prétend que ce sont des ennemis personnels à Gaillard qui l’ont dépouillé, et non des adversaires du roi de France (c’est en fait le comte de Strafford, lieutenant du roi d’Angleterre, qui a confié Blanquefort à l’un des plus grand adversaires de Gaillard, Bernard-Aiz d’Albret), il n’en reste pas moins que le roi d’Angleterre, dès le retour de Gaillard à ses côtés, va s’empresser de lui rendre la forteresse. Gaillard n’a donc pas réussi le coup de maître tenté, perdant une de ses deux seigneuries principales pour des revenus éparpillés et un roi de France mauvais payeur. Aussi, après quelques expéditions en Agenais aux côtés du comte d’Armagnac en septembre-octobre 1353, contemple-t-il certainement avec beaucoup d’intérêt la première chevauchée du prince de Galles Edouard de Woodstock en 1355. Au mois d’avril 1356, il est auprès du Prince Noir pour faire sa soumission et récupère tout ce qu’il avait perdu six ans plus tôt, à commencer par Blanquefort.

    Ce troisième revirement sera le dernier, mais certainement le plus important puisqu’elle permet aux Durfort-Duras d’être du côté des vainqueurs lors de la désastreuse bataille de Poitiers pour les armées françaises, le 19 septembre 1356. Gaillard disparaît cette même année, aussi on a pu penser qu’il avait trouvé la mort lors de cette confrontation. Mais H. Guilhamon a mis en évidence sa survie pendant quelques mois encore puisque qu’il signe un traité le 26 novembre 1356 et fait partie, avec les seigneurs de Langoiran et d’Albret, de ceux qui ont la garde de Jean le Bon à Bordeaux. Par contre, il est mort avant le 26 octobre 1357 puisqu’à cette date Marguerite de Caumont, dame de Duras et de Blanquefort, est dite veuve.

    S’il n’est seigneur de Duras qu’à quarante six ans, nous percevons bien quelle a pu être l’influence de cet intellectuel-militaire sur son frère aîné, et son arrivée personnelle à la tête des possessions familiales a encore accéléré l’importance grandissante de la maison de Durfort-Duras. N’hésitant pas à changer de camp à chaque fois que la raison et la prévoyance l’imposaient, Gaillard Ier laisse son fils, encore mineur, à la tête d’un héritage important et sécurisé par les récentes victoires anglaises.

     

     

     

    II – Gaillard II et Gaillard III : deux sénéchaux au service du roi-duc

     

    Aymeric de Durfort avait privilégié Lacour et ses possessions " françaises ". C’est très certainement avec Gaillard et la perte du château familial de la Lacour que Duras voit ses seigneurs se réinstaller à l’ombre de ses murailles. Ainsi, quand le 10 décembre 1360 Gaillard de Durfort, seigneur de Duras, " pupillus proximus cum pubertate ", et sa mère et tutrice Marguerite de Caumont approuvent une vente de terre en Toulousain, ils le font depuis le château de Duras, avec notamment Adhémar Forton, curé de Baleyssagues, comme témoin. C’est également à Baleyssagues, en 1357, que Marguerite de Caumont abandonne ses droits sur Ste-Bazeille et d’autres lieux à Bernard-Aiz d’Albret. En ce début de deuxième moitié du XIVe siècle, Duras a renoué avec ses seigneurs, Gaillard II et ses frères y étant peut-être même nés. Cette présence sera de courte durée : Gaillard II, comme son fils plus tard, a occupé des charges importantes dans l’administration aquitaine, devant ainsi le plus souvent résider à Bordeaux et même à Londres. D’autre part, dès 1377, le château de Duras est provisoirement retiré aux Durfort, même si nous verrons qu’en fait ils s’y réinstallent très vite. Tout comme son fils plus tard, Gaillard abandonne l’alternance d’obédience pratiquée par son père et reste fidèle au roi d’Angleterre. Intérêt purement stratégique ou réel attachement à la cause du roi-duc ? Toujours est-il que la famille Durfort-Duras ne se soumait pas au roi de France, même après la perte de Duras. Mais intéressons-nous d’abord à Gaillard II, mineur lors de la mort de son père, mais majeur quand les armées françaises reprennent leur offensive en 1364, et pouvant ainsi pleinement jouer un rôle important.

     

     

    A – Gaillard II : un sénéchal gascon

     

    1 – Une longue vie partagée entre la fortune et la perte de Duras

     

    Alors qu’il a connu la plus longue présence à la tête de la seigneurie de Duras (soixante-cinq années de 1357 à 1422), Gaillard II n’a jamais hésité entre les deux prétendants au trône de France. Son premier acte politique important intervient le 19 juillet 1363 quand le " baron Gaillard de Durfort, seigneur de Blanquefort en Bourdelois et de Duras en Agenoys " prête hommage au Prince Noir en la cathédrale St-André. Quelques années plus tard, en 1370, alors que les hostilités ont repris, il se fait nommer capitaine de son propre château de Duras afin de recevoir des aides armées et financières du roi Edouard III. Ainsi, en 1373, 74 et 75, le connétable de Bordeaux lui envoie des armes pour défendre ses deux châteaux principaux. Gaillard est encore très impliqué dans la gestion et la protection de ses deux seigneuries éponymes, et n’a pas encore reçu de charges importantes de l’administration anglaise, les revenus de ses possessions étant certainement suffisants, bien que le connétable continue de lui envoyer des fonds. Incontestablement, l’année 1377 et la perte du château de Duras marquent un tournant. Alors que les Français sont aux portes de Bergerac, Thomas Felton, selon Froissart, réclame l’aide " moult expectalement au seigneur de Moncident (de Mussidan, Raymond de Montault), au seigneur de Duras, à celui de Rosen (de Rauzan, Guillaume Raymond de Madaillan) et à celui de Laguran (de Langoiran, Bérard d’Albret) qui estaient les plus vaillants et les hauts et les plus puissants de toute Gascoigne de la partie des Englès ".Se rendant à La Réole, les trois seigneurs sont surpris à Eymet par l’armée du Duc d’Anjouet capturés par Louis de Sancerre qui les cède au Duc moyennant 30000 francs d’or ; nous sommes alors le 14 septembre 1377. Libérés en échange de la promesse d’embrasser la cause de Charles V, Bernard d’Albret et Raymond de Montault restent fidèles à leur serment, alors que Gaillard et Guillaume-Raymond de Madaillan se précipitent à Bordeaux, déclarant, du moins dans l’imaginaire de Froissart, puisque ce dernier ne s’y trouvait pas : " comment pourrions-nous servir le duc d’Ango et les Français, que nous avons toujours esté loial Englès ? Il vaut trop mieux à mentir no serement devers le duc d’Ango, que devers le roi d’Angleterre, nostre naturel seigneur, qui nous a tant de bien fait ". Ne pouvant se venger directement sur les traîtres, réfugiés à Bordeaux, le duc d’Anjou a décidé de ravager leurs terres. Après s’être emparé de Castillon, de Sauveterre, de Ste-Bazeille, de Monségur, d’Auberoche et de St-Macaire, le duc d’Anjou, flanqué du connétable du Guesclin et des deux nouveaux convertis Raymond de Montault et Bérard d’Albret, arrive aux portes de Duras le 18 octobre 1377. Se doutant du sort qui les attendait, les habitants de Duras ont organisé leur défense, en l’absence de leur seigneur, alors à Bordeaux. L’assaut du deuxième jour transperça les défenses de la ville, et fut suivi du massacre de tous ceux qui se trouvaient dans la cité (" ensi fut la ville de Duras prise et pillié, et Chil tout mort qui dedens furent trouvet "). Commença alors le siège du château lui-même, beaucoup plus difficile à assaillir que la ville, et au bout de quatre jours supplémentaires, la garnison se rendit, moyennant sa survie. Gaillard perdit alors cette seigneurie et les revenus qui y étaient attachés, sans jamais tenter de la reprendre par la force, contrairement à Moissaguel, où il installa son frère bâtard Lesclop et une bande de routiers, tout comme à Gageac en Périgord. En fait, c’est tout l’Agenais que les troupes plus ou moins affiliées à Gaillard ont ménagé, peut-être afin de ne pas mécontenter les populations puisqu’un retour à l’obédience anglaise était possible, mais les hordes " contrôlées " par les Durfort n’étaient pas les seules sévissant…

    En terme de revenu, la perte de Duras fut vite compensée par l’obtention dès 1379 de la prévôté de Bayonne. Puis suit une carrière remarquable : en 1382 Gaillard II est membre de la cour d’appel créée à Bordeaux par Richard II, en 1384 il devient conservateur des trêves pour l’Agenais et le Toulousain, puis il est chargé de mission à Bayonne auprès de Jean de Gand, administrateur du duché de 1390 à 1394, au moment de la " croisade " contre les Trastamare. Ces contacts avec le duc de Lancastre ont sûrement été les piliers de la fortune de Gaillard II puisqu’en 1399 l’Angleterre change de dynastie et le fils de Jean de Gand accède au trône. Aussitôt, le 23 décembre 1399, le nouveau roi Henri IV choisit le seigneur de Duras comme sénéchal d’Aquitaine, alors que la tradition voulait un Anglais à ce poste de la plus haute importance. Malgré les récriminations de plusieurs seigneurs, Arnaud Amanieu d’Albret en tête, Gaillard a conservé ce poste à l’avènement d’Henri V en 1413. C’est en 1415 qu’il est appelé sénéchal de Guyenne pour la dernière fois, même s’il continue à s’intéresser aux affaires du duché jusqu’à sa mort, en 1422, à près de soixante-dix ans.

    L’envergure européenne qu’a prise Gaillard ne l’a pas fait renoncer à continuer son intégration parmi la meilleure noblesse aquitaine, comme l’avait son père avant lui. Ainsi, le 31 décembre 1369 épouse-t-il Eléonore de Périgord, sœur du comte de Périgord Archambaud. Gaillard se remarie en 1390 avec Jeanne, fille du comte de Lomagne. Malgré la perte de Duras, le futur sénéchal conclut cependant des traités de défense locale, en son nom ou par l’intermédiaire de ses frères et fils. Ainsi, dès 1388 s’entend-il avec ses rivaux de la famille d’Albret Arnaud-Amanieu et Bérard (seigneur de Ste-Bazeille), pourtant favorables à la cause française. De même, en 1393, le frère de Gaillard, Aymeric, fait hommage à Bernard d’Armagnac, alors qu’en 1414 et 1436 c’est son fils Gaillard qui fait alliance avec le comte de Foix, reprenant les termes d’un accord préalable concernant directement Gaillard II. Au début du XVe siècle, Bernard VII de Foix écrit même une lettre à son cher oncle Gaillard de Durfort, sénéchal d’Aquitaine

    La succession d’un homme aussi brillant que Gaillard Ier s’annonçait difficile, mais son fils a su, autant sur le plan local qu’ " international ", se montrer opportuniste. Gaillard II meurt donc, entre le 14 février et le 4 septembre 1422, ayant élevé encore plus haut le nom des Durfort-Duras. S’il est officiellement dépossédé de Duras dès 1377, il portera ce titre jusqu’à sa mort, de même que son fils. Il est d’ailleurs probable que les Durfort n’aient quitté que très brièvement Duras, comme nous allons le voir maintenant.

     

    2 – Duras : une destruction non effectuée, un exil limité

     

    Avant même que Duras ne soit conquis par les armées françaises, la forteresse avait un capitaine, certainement assez virtuel, inféodé au roi de France. En effet, dans une lettre du duc d’Anjou datée du 6 mars 1377, soit quelques mois avant le siège, le frère du roi de France s’adresse notamment à un certain " H. de Leymegunen ", capitaine de Duras, de Marmande et de Monségur. Nous ignorons quel a vraiment pu être son rôle dans les zones qu’il était sensé surveiller, mais l’assaut mené contre Duras montre bien que cette place ne lui était absolument pas soumise.

    Revenons justement à ce siège, afin de mieux percevoir quel a pu être le destin de Duras après la confiscation de ce territoire aux Durfort. Froissart, à la fin de son récit concernant le siège de Duras, ne peut affirmer avec certitude que le château de Duras a été détruit. Le Cartulaire de La Réole, qui relate également les faits, ne nous renseigne pas beaucoup plus. En effet, il affirme que la place forte de Duras a été dévastée par le fer et par les flammes (" Durassense oppidulum ferro flammaque vastavit " sans préciser le sort particulier du château. Si l’archéologie n’a pas trouvé de traces d’une reconstruction du château à partir du début du XVe siècle, c’est qu’elle n’a pas eu lieu, comme le confirment deux lettres. Dans une première lettre écrite entre 1378 et 1389 par le roi Charles VI et destinée à Kerve de Lesmenuen (ou de la Menevin, sénéchal d’Agenais et viguier de Toulouse), le roi de France demande au sénéchal, qui a la garde du château, de confier cette charge à Arnaud Amanieu d’Albret, comte de Dreux et vicomte de Tartas (certainement ce même Arnaud Amanieu qui signe à la même époque un accord d’entraide avec Gaillard II…), " pour le abattre et mettre à terre, ou autrement en faire et ordonner ceste fois si comme bon semblera à nostre dit oncle (il est en effet l’époux de Marguerite de Bourbon, sœur de la reine), et il verra estre à faire ". Il apparaît donc clairement que la destruction n’est pas imposée, et dépend de la volonté du seigneur d’Albret. Le 25 juillet 1389, le château n’est toujours pas à terre, pour la simple raison qu’Arnaud Amanieu n’a toujours pas reçu la garde de Duras. En effet, une deuxième lettre du 25 juillet 1389, du duc de Berry, lieutenant-général en Languedoc et Guyenne, à Louis de Sancerre, " capittaine général des gens d’armes ordonné pour la deffense et garde dudit pays de Languedoc , et au cappitaine, ou chastellain du chastel de Duras " (sans mention de la personne), nous apprend que Kerve de la Menevin est mort avant d’avoir pu donner la lettre précédente au seigneur d’Albret (" ycelluy seneschal ala de vie à trepassement, et pour ce nostre dit cousin n’a point eu depuis la pocession dudit chastel de Duras requerant sur ce nostre provision "). Il est donc à nouveau précisé que c’est ce dernier ou quelqu’un de son choix qui doit garder Duras, mais il n’est plus question d’une quelconque destruction. Cette lettre nous apprend par ailleurs qu’un autre personnage a pris possession, de façon plutôt officieuse, du château. Et c’est peut-être pour cela qu’Arnaud-Amanieu d’Albret en réclame le contrôle, non pour lui mais peut-être au bénéfice d’un membre de la famille de Gaillard II, puisque cette lettre suit de très peu l’accord d’entraide des deux hommes. Ce qui est certain, c’est qu’en 1398, un certain Jean de Durfort, certainement le fils d’Aymeric, lui-même frère de Gaillard II, est dit seigneur de Duras et de Blanquefort. Bien sûr, Gaillard est toujours vivant à cette époque, et nous pouvons imaginer que ce Jean est le seigneur officiel de Duras pour les Français, mais qu’il n’est en réalité qu’un prête-nom pour son oncle. Une telle situation se répète au XVe siècle avec plus de certitude, avec un " seigneur " de Duras qui sert d’intermédiaire entre les émissaires du roi de France et le véritable seigneur, et sauvegarde les droits des Durfort. Pour le roi d’Angleterre en tout cas, il n’y a qu’un seul seigneur de Duras, et il se prénomme Gaillard. Quand le deuxième du nom s’éteint en 1422, c’est un troisième qui lui succède.

     

     

    B – Gaillard III : le début du déclin

     

    Essayant de conserver le rang qu’avait obtenu son père, Gaillard III a lui aussi joué la carte anglaise. Fils du premier mariage de son père avec Eléonore de Périgord, son premier acte politique remonte à 1414 et au renouvellement de l’alliance avec la famille de Foix. Comme son père il obtient des charges en remplacement de ses terres perdues, et récupère dès 1423 la prévôté de Bayonne. Cependant, il doit faire preuve de plus de patience pour atteindre le sénéchalat, obtenu le 22 juin 1434 ; mais il n’est plus question de l’Aquitaine intégrale de son père, Gaillard III devant se contenter des Landes. Lors des années de trêve, Gaillard tente d’organiser les terres qu’il lui restent. Ainsi tente-il de rendre la justice et de dresser des fourches patibulaires à Blanquefort, comme il aurait pu le faire à Duras, mais l’abbaye Ste-Croix de Bordeaux s’y oppose, et se trouve appuyée par le sénéchal de Guyenne. Malgré un bon mariage avec Indie de Lalande, fille du seigneur de La Brède, Gaillard manque continuellement d’argent, et vend un grand nombre de droits, comme par exemple la dîme du vin de Bègles au chapitre St-André en 1426. A sa mort, vers 1442, il est tellement endetté que son fils, devant se rendre à Londres, demande une sauvegarde royale pour se défendre des créanciers de l’ancien sénéchal des Landes. La date de 1442 est retenue pour sa mort parce que c’est à ce moment qu’Henri VI désigne de nouveaux prévôts de Bayonne, même si son décès n’est certain qu’en 1444.

    Comme pour son père, des liens et des personnes l’unissaient toujours à Duras. Ainsi, le 28 mars 1439, quand il s’allie une fois de plus avec le comte de Foix, on trouve parmi les témoins un certain Grégory Elis, capitaine de Duras. Qu’en est-il du statut réel de ce capitaine ? S’il était un représentant du seigneur dans une de ses possessions, nous aurions des preuves du retour officiel de Gaillard à Duras. Or à cette époque Duras est toujours en territoire français, et le restera d’ailleurs jusqu’à la fin de la guerre ; Grégory Elis n’est-il alors qu’un capitaine virtuel comme l’était H. de Leymegunen pour les Français ? Cela paraît invraisemblable. Il est certainement le capitaine accepté par le roi de France, qui comme Jean de Durfort, neveu de Gaillard II, entretient de très bonnes relations avec les seigneurs.

    Gaillard III, à part son titre de sénéchal des Landes certainement plus intéressant pour le revenu qu’il apportait que pour les pouvoirs qu’il conférait, et celui de prévôt de Bayonne, apparaît finalement bien terne face à ses deux prédécesseurs. A sa décharge, un contexte politique et militaire moins favorable à son parti, avec de longues trêves et de violentes offensives françaises en Aquitaine à partir de 1429. Cependant, son père avait également connu de lourds déboires, notamment avec la perte de Duras, mais avait tout de même réussi à s’imposer au sommet des barons aquitains. On ne retrouve pas cette position d’arbitre, d’acteur principal pour Gaillard III, peut-être par manque de textes, certainement par manque d’action. Pour la première fois depuis l’implantation de la famille Durfort à Duras, l’avenir semble s’obscurcir pour le nouveau seigneur, et la minorité de l’héritier est un handicap supplémentaire

     

     

     

    III – Gaillard IV, dernier du nom, dernier serviteur de la cause anglaise

     

    Avec cet homme, la famille de Durfort-Duras renoue avec les fortes personnalités, celles qui bien sûr recherchent de l’argent mais veulent aussi s’imposer sur l’échiquier des grands seigneurs. Dans un contexte très difficile de défaite pour le camp qu’il soutient, il va reprendre la politique de revirement de l’Archidiacre, même si ses alliances, hormis la dernière, avec le roi de France ne seront que très éphémères. D’autre part, comme son grand-père Gaillard II, il va se révéler un excellent ambassadeur auquel les rois d’Angleterre vont souvent faire appel. Sa vie peut se résumer en trois grandes étapes : la fin de la guerre en Guyenne qui l’oblige à quitter sa Gascogne natale, sa vie d’ambassadeur et de général au service des rois anglais, et la retour final, d’assez mauvaise grâce, au sein de la couronne de France.

     

     

    A – La fin de la guerre de Cent Ans

     

    Gaillard IV, accompagné de sa famille, décide de passer les années qui le séparent de sa majorité à Londres, à l’écart des domaines qu’ils lui restent, mais auprès des souverains anglais et de la noblesse britannique. Cependant, la fin de la guerre de Cent Ans se joue en Guyenne, et particulièrement à Bordeaux où il fait son retour en 1451. Il est alors fait bourgeois de cette ville par Henri VI, qui le place également au conseil de Bordeaux, comme conseiller royal. A ce titre, il négocie en compagnie de l’archevêque et de huit autres nobles et bourgeois, la capitulation de la ville. C’est à cette époque, où tout semble perdu pour les fidèles du roi d’Angleterre que les serviteurs du roi de France tentent de " convertir " les derniers seigneurs récalcitrants, et Gaillard parmi eux. Ainsi, le 8 juin 1451, le comte d’Armagnac, lieutenant du roi de France, rentre en contact avec l’oncle de Gaillard IV, Aymeric, concernant le statut de Duras. Aymeric est désigné comme " capitaine des ville et chastel de Duras ", ce qui montre une fois de plus que Duras n’a jamais réellement été retiré aux Durfort. Par contre, cet accord prévoit que le seigneur de Duras sera forcément un vassal du roi de France. Ainsi, si Gaillard reconnaît le roi de France comme son seigneur, il restera seigneur de Duras. Mais s’il s’obstinait à soutenir le roi d’Angleterre, c’est à son oncle Aymeric que reviendrait la seigneurie, " comme son propre héritage ". D’autre part, le comte d’Armagnac " promet aux consulz, manans et habitans de la dicte ville de les maintenir en leurs franchises, libertez et coutumes " (nous ne possédons malheureusement pas ces coutumes), mais impose l’établissement de certains de ses hommes pour garder Duras. Ce contact indirect semble avoir porté ses fruits puisque, le 11 septembre 1451, Gaillard fait hommage à Charles VII pour la terre de Duras et le château d’Allemans, avec leurs appartenances et dépendances.

    Ce retour du côté des vainqueurs ne durera pas, et il est vrai que le camp français n’a rien fait pour satisfaire Gaillard. Au contraire, dès le 17 juin 1451, Charles VII avait donné le château de Blanquefort à Antoine de Chabannes, le " prince des écorcheurs ", avant même que les troupes françaises n’aient fait leur entrée à Bordeaux ; par ailleurs, les officiers français n’avaient que peu de considération pour les vaincus. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que Gaillard se soit considéré comme délié de ses engagements envers le roi de France, d’autant que Talbot préparait le retour de Bordeaux au roi d’Angleterre. Ainsi, dès le 23 novembre 1452, Gaillard est auprès du lieutenant général et gouverneur pour le roi d’Angleterre en Guyenne, qui lui remet, comme à ses deux prédécesseurs, la prévôté royale de Bayonne, augmentée de la porterie du château de la même ville, ainsi que d’une seigneurie attenante à celle de Duras, celle de Monségur. La réaction française ne se fait pas attendre, et dès 1453, conformément à l’accord de 1451, Aymeric de Durfort devient seigneur de Duras. La bataille de Castillon perdue le 17 juillet 1453, Charles VII confisque l’ensemble des biens de Gaillard, le comte de Dammartin Antoine de Chabannes récupérant Blanquefort en avril 1454, après que Gaillard eut résisté jusqu’au dernier moment. Il faut par contre attendre le mois de juin 1462 pour que Duras soit donné à quelqu’un d’autre qu’à l’oncle de Gaillard : cette période correspond peut-être à l’existence d’Aymeric, qui n’a pas eu d’enfant, d’où la donation par Louis XI à son grand sénéchal de Guyenne, Antoine de Castelnau, seigneur du Lau, de la seigneurie de Duras.

    Forcé à l’exil par son dernier revirement malheureux, Gaillard continue sa vie d’homme de terrain au service direct du roi d’Angleterre, mais ses revenus ont déjà subi un net déclin.

     

     

    B – La carrière diplomatique de premier ordre du " proscrit "

     

    Ayant perdu la totalité de ses biens, Gaillard ne perçoit dans un premier temps qu’une maigre rente de 100 livres par an, qu’il agrémente à partir de 1456 par l’activité du commerce maritime. Dès 1462, il perd toute chance d’un retour rapide en Guyenne puisqu’il est condamné par contumace à la confiscation de tous ses biens pour crime de lèse-majesté. Mais un nouveau conflit, interne à l’Angleterre celui-là, la guerre des Deux-Roses, lui permet de faire son retour sur la scène européenne. Préférant le camp des York et de la guerre contre la France à celui des Lancastre, décrédibilisé par la défaite finale d’Henri VI lors de la Guerre de Cent Ans, Gaillard devient un des ambassadeurs préféré d’Edouard IV et reçoit l’ordre de la Jarretière. Promu gouverneur de Calais par ce souverain, puis envoyé auprès du duc de Bourgogne Charles le Téméraire en 1470, il devient chambellan de ce dernier quelques mois plus tard. En 1471, c’est du roi d’Angleterre lui-même que Gaillard devient le conseiller et chambellan, Edouard IV lui confiant le commandement d’une armée en 1472. En 1474, on le retrouve à plusieurs reprise auprès du duc de Bretagne, et reçoit le co-commandement de l’armée de Bretagne, avant de faire partie d’une commission de trois personnes qui va négocier la paix.

    Gaillard IV est donc un baron complètement intégré à la cour d’Angleterre, et outre sa rente, divers revenus lui sont assignés sur des manoirs britanniques. Il est d’ailleurs le seul seigneur de Duras du Moyen Age à n’avoir pas épousé une gasconne puisqu’il épouse Anne, fille de William de la Pole, duc de Suffolk. Cependant, à travers son action politique, nous voyons bien qu’il croit encore à une Guyenne et à une France anglaise. Le traité de Picquigny de 1475 met un point final à ses espérances puisque toute idée de réunion des monarchies anglaise et française est définitivement abandonnée. Gaillard n’a plus qu’à refaire sa vie en Angleterre ou accepter de faire hommage à Louis XI pour récupérer ses domaines familiaux, et notamment Duras, confisqué depuis déjà 100 ans. Il choisit la deuxième solution, gascon avant tout.

     

     

    C – La fin de l’exil

     

    C’est en juin 1476 que Louis XI accorde son pardon à Gaillard et lui restitue ses biens, à savoir Duras et Blanquefort mais aussi Villandraut, dont les Durfort ne portaient plus le titre depuis longtemps. Ce pardon s’applique également à ses trois enfants, Jean, Georges et Marguerite, alors que son frère Bertrand doit attendre deux mois supplémentaires pour obtenir le pardon royal. Les deux frères reçoivent bien les titres de conseiller et chambellan, mais ils n’ont alors pas l’importance qu’ils connurent auprès d’Edouard IV. Gaillard et Bertrand demandent des lettres de rémission afin de pouvoir récupérer leurs domaines en toute sécurité, et la réintégration à la vie gasconne se fait dès décembre 1478 avec le mariage de l’héritier Jean avec Jeanne Angevin, fille du seigneur de Rauzan Bernard Angevin. La famille Durfort s’est alors réinstallé à Duras comme en témoigne le testament de Gaillard, rédigé à Duras le 4 février 1481, et qui ne fait des dons qu’aux lieux de culte duraquois. Ainsi demande t’il que soient achevées les réparations de la chapelle Ste-Madeleine et qu’on y dise tous les jours une messe à perpétuité, que 20 livres soient données à la chapelle de Nazaret fondée dans l’église St-Eyrard, et que soient prononcées 200 messes. Par contre c’est chez les frères mineurs de Bordeaux, dans le tombeau de ses ancêtres, qu’il demande à être inhumé, ce qui est fait entre le 15 avril et le 28 mai 1481, en présence du chapitre St-André.

    Jean, son successeur, ne retomba pas dans l’anonymat et fut le digne héritier de ses ancêtres, autant du point de vue des charges que de l’activité militaire. Ainsi, dès 1487, il est maire de Bordeaux et participe aux expéditions de Naples en 1494. Auparavant, en septembre 1491, il avait été chargé de la conduite du ban et de l’arrière-ban de la noblesse du pays bordelais. A un niveau plus local, Jean essaie d’étendre ses possessions, le Conseil privé du roi devant prendre un arrêt sommant la maison de Duras d’évacuer ses troupes des terres de l’abbaye de St-Ferme et de lui restituer ses biens. Il n’y a donc pas eu de véritable rupture entre la période de prospérité, du moins politique, auprès de la cour d’Angleterre, et le retour aux sources en Guyenne et en France. Les nouveaux seigneurs de Duras ont su reprendre leur place dans un contexte politique différent, avant de reprendre leur rôle de meneur lors des Guerres de Religion.

     

     

     

    A partir d’une occupation ancienne, datant de l’antiquité, et poursuivie dans les périodes suivantes, une seigneurie s’est organisée dès le XIIe siècle à l’initiative de la famille vicomtale de Bezaume, et de sa branche des Bouville, essentiellement au détriment des bénédictins de La Réole. Inaugurant la succession d’obédience, grâce à une position de limite entre l’Agenais la plupart du temps français et le Bazadais soumis au roi-duc, les Bouville de Duras disparaissent mystérieusement, laissant la place pour quelques dizaines d’années à la puissante famille des Got. Après quelques luttes judiciaires, c’est une branche de la famille Durfort originaire de Lacour qui hérite de la seigneurie et du château fraîchement édifié. Commence alors une très longue page de l’histoire de Duras, avec des seigneurs puissants et souvent appelés à jouer les premiers rôles diplomatiques et militaires. Si cette dernière famille a plus que les autres marqué l’histoire de Duras, notamment grâce à sa longévité et à sa gloire nouvelle à l’époque moderne, il apparaît clairement que dès le Moyen Age, et ce sous chacune des trois dynasties, la seigneurie et le titre de Duras ont appartenu à des hommes puissants et influents. Si l’histoire de ces seigneurs est plus ou moins lisible, et plus ou moins attachée à Duras même, l’histoire des habitants de la seigneurie est elle quasi impossible à percevoir. Pourtant, que leur seigneur soit du côté des vainqueurs ou des vaincus, auprès d’eux ou à Londres, les Duraquois et autres habitants de la seigneurie sont les vrais acteurs de la vie seigneuriale. Seulement, cette activité ne laisse que peu de traces, et même si elle a pu en donner, à l’exemple des registres de jurade à l’époque moderne, les textes du Moyen Age ne nous sont pas parvenus. Essayons cependant de voir ce que nous pouvons deviner de la vie quotidienne en Duraquois au Moyen Age, avant la Guerre de Cent Ans quand ce sera possible, mais surtout après cette dernière.

     

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    Troisième partie :

     

    Vie quotidienne en Duraquois et reconstruction à l’aube de

     

    l’époque moderne

     

    Chapitre I : Activités et vitalité paroissiales

     

    Si les activités professionnelles sont à peu près les mêmes pour pratiquement tous les habitants de la seigneurie, ces mêmes habitants ne sont pas répartis également dans les paroisses. Aussi, après avoir évoqué les activités à l’aide d’exemples, nous essayerons de percevoir la vitalité des paroisses et d’analyser l’apport du repeuplement gavache après les ravages de la guerre de Cent-Ans.

     

    I – Métiers en Duraquois

     

    Comme partout ailleurs au Moyen Age et à l’époque moderne, l’agriculture est l’activité principale et quasi exclusive dans la seigneurie de Duras. Et s’il existe quelques artisans et quelques hommes qui tentent leur chance à la suite des armées, ce ne sont souvent que des activités complémentaires, qui s’ajoutent à la culture de la terre.

     

    A – L’agriculture : l’activité fondamentale

     

    Il n’existe pas pour le Moyen Age de description des cultures pratiquées dans la seigneurie. En effet, l’ensemble des terriers des seigneurs de Duras a été brûlé à la Révolution, et les archives du prieuré de Duras ont été transférées à Bayonne dès 1559 par Fabrice de Navailles, prieur commendataire. Ce sont donc par des documents qui n’avaient pas pour objectif premier de décrire les cultures que nous allons essayer de les percevoir .

     

    1 – Au XIe siècle, une culture très extensive

     

    Nous avons déjà émis l’hypothèse qu’aux époques antiques et mérovingiennes, l’agriculture se présentait sous forme de fronts pionniers au milieu de la forêt, comme semble l’indiquer la multitude des sites découverts. Au début du Moyen Age, les surfaces cultivées devaient être toujours réduites, complétées par de l’élevage très extensif. Grâce au Cartulaire de Conques concernant la création d’Esclottes, nous connaissons par l’intermédiaire des dîmes demandées quelques activités pratiquées par les habitants de cette nouvelle paroisse. Ainsi, outre la culture des céréales panifiables et de celles réservées à l’alimentation animale, les moutons font l’objet de dîmes. L’utilisation de ce document ne nous permet bien évidemment pas d’établir des généralités pour l’ensemble de la seigneurie. Cependant, nous pouvons imaginer que les cultures ne devaient pas beaucoup varier d’une paroisse à l’autre. Nous ne pouvons hélas pas comparer ce texte à un autre concernant le Duraquois au Moyen Age, mais nous possédons pour le XVIIe siècle une description complète des dîmes dues par la paroisse de St-Sernin. Malgré les six siècles qui séparent ces deux documents, nous pouvons penser que les cultures n’ont que peut évolué, malgré la découverte au XVe siècle des Amériques et de leurs nouveaux fruits et légumes.

     

    2 – Au XVIIe siècle, l’exemple du prélèvement des dîmes

     

    C’est grâce à une série de plaintes des paroissiens de St-Sernin adressées au Parlement de Bordeaux contre leur curé et ses prétentions que nous connaissons les cultures sur lesquelles pesaient les dîmes à cette époque. Ainsi, alors que le curé prétend être payé au dizain sur toutes les cultures, voici les conclusions du Parlement, le 8 juin 1608 : " il y aura eu enquête, laquelle montra que de toute ancienneté, la dîme ne s’était payé des blés froment, seigle, orge, " baillarge " (sic), avoine, vendange, lins et chanvre portant grains naissants et croissants dans ladite paroisse qu’à raison de quinze gerbes une et pareillement de la vendange, lins et chanvre de graine, le tout au champs, les fèves et millet dans le grenier, et la dîme des agneaux à 15 un, qu’on ne payait pas la dîme des pois, grisons, jarousses, chanvre femelle, cochons et chevreaux ". Parmi les cultures qui apparaissent, nous remarquons la présence des " vendanges ". Sur la carte de Belleyme, les vignobles sont très étendus, et nous savons par ailleurs qu’au XVIIIe siècle le commerce du vin constitue le principal revenu de la seigneurie.

    Outre l’agriculture, l’artisanat est le second pôle d’activité, même si paysans et artisans ne font souvent qu’un.

     

     

    B – Les autres activités

     

    Une fois de plus, il ne s’agit pas de répertorier l’ensemble des activités artisanales. Nous nous contenterons de citer les exemples qui nous sont parvenus.

     

    1 – L’artisanat

     

    Le premier métier indissociable des activités agricoles est celui de meunier. Outre les vestiges que les moulins ont pu laisser, la toponymie nous permet de les situer grâce à la présence de lieux commençant par " moulin " pour ceux qui utilisent la force de l’eau (" moulin de Canterane " sur le ruisseau du même nom entre Savignac et Lubersac ; ou " moulin de Cocussaute " sur le Dropt au sud de Ste-Foy-la-Petite). D’autres lieux dits tels " la Moulière " au nord de St-Eyrard indiquent également des moulins à vent.

    C’est certainement à Duras que se trouvait la plus grande concentration d’artisans, comme en témoigne le nom donné à certaines rues ou places du village. Ainsi, une des trois rues principales porte le nom de " rue des Fours ", qui devait réunir l’ensemble des boulangers de la ville. Cette rue donne sur une place dénommée " place de la Porcherie " qui devait servir de marché à ces animaux, alors que les produits issus de la terre devaient être négociés sur la " place du Marché ", à l’ouest de la ville. Mais Duras n’avait bien sûr pas le monopole des activités artisanales et commerciales, comme en témoigne une montre de 1352 de Raimond-Bernard de Durfort, seigneur de Fenouillet, qui doit soixante livres à Pierre d’Esclottes, marchant de chevaux, et cinquante livres à Guillaume-Arnaud de Baleyssagues, maréchal-ferrant.

    Paysans ou artisans, la promotion sociale est impossible pour l’immense majorité des habitants de la seigneurie. Cependant, quelques familles ont réussi à dépasser leur condition et à quitter le statut de paysan.

     

    2 – La famille Capdefust, exemple " d’extraction militaire "

     

    La première mention d’une personne nommée " Capdefust " remonte au début du XIIe siècle. Quand Gérard des Lèves reçoit la charge du prieuré de St-Eyrard, A. de Gugad Capdefust fait partie des témoins, à côté notamment d’un Gérard de Gugad. Cette famille de Gugad devait être une des plus importantes de St-Eyrard puisque deux de ses membres sont cités en deuxième et troisième position parmi les témoins laïcs. Leur " fortune " venait très certainement de la terre, même si le deuxième acte mettant en scène un Capdefust, en 1276, concerne un certain Bernard de Capdefust qui reconnaît tenir du prieur de La Réole, Philippe Massart, et du prieur de Duras, une partie des dîmes de la paroisse St-Eyrard, contre un cens annuel d’un sou. On ne peut pas affirmer que Bernard est un descendant de A. de Gugad qui avait reçu le surnom de " tête de bois ", mais il est plus probable que le prochain Capdefust apparaissant dans les recueils médiévaux soit de la même famille puisqu’il porte le même prénom que son présumé aïeul. Nous retrouvons donc un deuxième Bernard de Capdefust, en 1347, toujours en rapport avec le prieuré de La Réole à propos de ses possessions dépendant du prieuré de Duras. La grande nouveauté vient du titre que lui a donné le Cartulaire de La Réole, celui de " miles ". Les hommes de la famille Capdefust ont donc progressivement fait évoluer leur statut social : très certainement issus de paysans enrichis, les Capdefust ont obtenu des dîmes dès le XIIIe siècle. C’est au XIVe siècle que la perception de ces redevances en nature passe au second plan, derrière la nouvelle fonction du chef de famille, celle de " chevalier ", probablement aux côtés du seigneur de Duras.

    De tels exemples de promotion sociale sont très peu nombreux, même si on trouve au XVIe siècle quelques maisons nobles dans le cadre de la juridiction de Duras (comme celle de Dardy, à St-Eyrard).

     

     

    II - Vitalité des paroisses

     

    C’est à partir de deux recueils de documents que nous allons avoir une idée de la population et des richesses des paroisses. Cette étude n’aura qu’un intérêt limité puisqu’elle ne peut commencer qu’au XVI siècle. Cependant, nous aurons une idée de la répartition des populations, qui n’avait pas dû beaucoup évoluer depuis la fin du Moyen Age.

     

     

    A – Les levées du Don Gratuit en Bazadais

     

    Les sommes réclamées aux paroisses variant beaucoup mais étant toujours proportionnelles à leurs ressources, nous ne considérerons que la levée de 1523 pour faire notre étude comparative. Comme sa petite taille le laissait supposer, la paroisse d’Anzas est celle qui fournit le moins de revenu à son curé, ce dernier ne devant donner que trois livres et seize sous de contribution. La paroisse de Ste-Colombe, plus étendue, contribue logiquement plus largement à l’impôt. Si la somme fournie par le recteur ne paraît pas très importante, six livres, il faut y ajouter celle du prieur qui est certainement grand décimateur à Ste-Colombe. Ainsi, si on ajoute les neuf livres quinze sous du prieur aux six livres du curé, ce sont en tout quinze livres et quinze sous. Si l’indice de prélèvement est le même pour toutes les paroisses, on s’aperçoit que Ste-Colombe fournit un revenu pratiquement cinq fois supérieur à celui d’Anzas. Avec Esclottes et Baleyssagues, nous sommes en présence de paroisses beaucoup plus étendues (920 ha pour Esclottes, 818 pour Baleyssagues, alors qu’Anzas et Ste-Colombe réunies ne couvrent que 698 ha). Ainsi, les levées sont plus importantes, avec trente livres pour Baleyssagues et trente-deux livres et deux sous pour Esclottes. Plus étendues et plus peuplées, ces deux paroisses sont peut-être aussi un peu plus riches puisqu’elles paient presque deux fois plus que l’ensemble Anzas - Ste-Colombe alors que leur territoire respectif n’est même pas d’un tiers supérieur à l’ensemble précédent.

    Pour les paroisses agenaises, la comparaison est plus aisée puisque nous possédons une estimations des feux, même si elle date de l’époque moderne.

     

     

    B – Répartition de la population dans les paroisses agenaises

     

    Dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, la partie duraquoise de l’élection d’Agen comptait sept-cent-un feux, répartis inégalement. La paroisse la plus peuplée est St-Eyrard avec trois-cents feux, Duras réunissant une centaine de maisons. Pour les autres communautés, c’est l’espace qui constitue le principal facteur d’occupation. Ainsi les deux paroisses les plus vastes, Savignac et St-Sernin, réunissent respectivement quatre-vingt-treize et quatre-vingt-dix feux. Suivent Auriac et Ste-Foy-la-Petite avec soixante-huit et soixante-cinq feux, et enfin Lubersac et St-Front. Ces deux paroisses, dont on avait dit d’elles en 1760 que " le fond y est si mauvais que partie est en friche ", sont cependant assez différentes. Pour une superficie équivalente, six-cent hectares environ, Lubersac compte cinquante-six feux alors que St-Front n’en dénombre que vingt-neuf. Une fois de plus est mise en évidence la pauvreté de cette paroisse due à la mauvaise qualité de ses terres. Il n’est ainsi pas étonnant que cette paroisse n’ait été structurée qu’en dernier recours.

     

    Ces études de peuplement employant des " statistiques " tardives comportent forcément des différences avec la situation à la fin du Moyen Age. Cette dernière a d’ailleurs vu l’arrivée de nombreuses personnes non aquitaines, surnommées " gavaches ", et essentiellement originaires des régions poitevines. Etudions donc leur arrivée et leur apport dans la seigneurie.

     

     

     

    III – Repeuplement et reconstruction à la fin du Moyen Age

     

    Ce n’est qu’après le retour définitif des seigneurs de Duras en France, en 1476, que peut s’organiser le repeuplement et la reconstruction. Hormis le siège de Duras en 1377 qui provoqua le massacre des habitants de la ville, la région n’a pas été le théâtre d’affrontements entre armées françaises et anglaises. Cependant, au regard de la toponymie, un grand nombre de lieux ont été réoccupés et rebaptisés, alors que le XVe siècle voit une dernière vague d’édification d’églises.

     

    A – Réoccupation du sol

     

    C’est suite à l’appel des seigneurs de Duras que s’est organisée la remise en valeur de la seigneurie au début du XVIe siècle. Les nouveaux occupants se sont alors approprié ce territoire, en donnant leur nom à leur tenure. La majorité de ces colons étaient originaires du Poitou, comme en témoigne la multitude des lieux-dits se terminant en " ot ", " aux " et " eaux ", le plus souvent précédés des articles " les " ou " aux ". Cependant, des groupes d’individus originaires d’autres régions se sont également installés, donnant le nom de leur province d’origine à leur lieu d’habitation (" Galice " à Esclottes et à Lubersac, " La Manche " et " La Bretonne " à Savignac, " Navarre " à Ste-Foy, " Les Savoyes " à St-Sernin ou encore " Le Suisse " à St-Front, etc.). Les lieux d’origine sont nombreux, mais on remarque une forte représentation des provinces ibériques.

    Des zones de repeuplement denses apparaissent à Ste-Colombe, à Savignac et au nord de St-Eyrard. Peut-être pouvons nous y voir le trajet de quelques compagnies de routiers, car si les troupes des prétendants à la couronne de France ont peu circulé aux abords de Duras (encore que La Réole ne soit distante que d’une trentaine de kilomètres), on ne sait pas ce qu’il en est de ceux qui écumaient à leur propre compte l’ensemble du Sud-Ouest.

    La multiplicité des toponymes étrangers suggère donc une mortalité assez importante, peut-être due à la guerre, combinée aux diverses épidémies et famines. Une vague d’édification d’églises à la fin du Moyen Age pourrait confirmer la thèse d’une destruction importante.

     

    B – Reconstruction des églises

     

    Les guerres de Religion du XVIe siècle ont probablement provoqué au moins autant de destruction dans les églises que la guerre de Cent Ans. Ainsi, au début du XVIIe siècle, l’évêque d’Agen Nicolas de Villars fait un constat alarmant de l’état d’abandon des églises. Cependant, au moment de la Contre-Réforme, il n’est pas question de reconstruire mais de restaurer, notamment les murailles du cimetière, alors qu’à la fin du XVe siècle ce sont des églises entières qui sont édifiées. Ainsi, trois sanctuaires ont une architecture attribuable au XVe siècle, Baleyssagues, Lubersac et St-Sernin, bien que ces trois villages n’aient pas été les plus touchés par les ravages de la guerre, du moins si on considère les indices de repeuplement.

     

    Si les activités agricoles et artisanales n’ont certainement pas connu beaucoup de modifications entre la fin du Moyen Age et l’époque moderne, l’arrivée d’hommes nouveaux a changé la vie quotidienne dans la seigneurie, ainsi que la toponymie. La vie religieuse est également au centre de la vie paroissiale, mais elle aussi a dû se modifier au contact des nouveaux habitants, même si la pérennité d’occupants " anciens " a dû être un gage de continuité.

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    Chapitre II : Vie religieuse et dévotions populaires

     

     

     

    La vie religieuse s’exprime de diverses manières : autour des curés et des églises, autour des prieurés et autour des dévotions paysannes. Ce sont ces trois éléments, essentiellement le premier et le troisième, qui organisent la solidarité paroissiale, la conscience d’appartenir à une entité.

     

     

     

    I – L’église et son curé

     

    A – Un exemple de curé scandaleux

     

    La paroisse ne peut se concevoir sans son élément fédérateur, et qui a permis son existence, l’église. Son animateur principal est bien sûr le curé, qui n’apparaît que très rarement dans les textes médiévaux quand sa cure est campagnarde. Il faut qu’un prêtre s’illustre particulièrement pour que l’on garde sa mémoire, c’est le cas pour un curé de St-Sernin du XIVe siècle. Le 9 février 1342, une lettre du pape Benoît XII relate l’attitude scandaleuse de Géraud Toreda : " Aymeric de Nolhac, évêque d’Agen, demande que soit traduit en procès inquisitorial ( " sibi tradere faciat omnium inquisitionum processus "), devant la justice criminelle de la cour épiscopale d’Agen et de l’officialité de Sarlat, respectivement les habitants contre Géraud Toreda (" Geraldum Toreda "), recteur de l’église paroissiale de St-Sernin à côté de Duras, diocèse d’Agen, qui, pendant sept ans, s’est abstenu de célébrer les offices dans l’église, a vécu vagabondant par les chemins en se comportant en perturbateur public (" publicus disrobator transeuntium per itinera publica existens "), puis s’est caché dans une forêt communément appelée " le bois des Dames ", située dans le diocèse de Sarlat, alors qu’il avait tué un " vassal " (?) (" feudatariam ") de son frère et commis plusieurs autres exactions et homicides ; il avait également blessé son frère (" fratrem ejus vulnaverat ") ".

    Un tel curé n’est certainement pas représentatif, mais l’exemple d’un homme, certainement cadet de famille, arrivé à la tête d’une église sans la moindre vocation.

     

     

     

    B – Le vocable des églises

     

    Hormis St-Jean, vénéré dans trois églises, Anzas, Lubersac et St-Front, les saints patrons sont variés. Et encore, pour Lubersac et St-Front, ce vocable s’est imposé tardivement, et en 1603 N. de Villars déclarait que patron était Notre-Dame ou St-Jean-Baptiste. C’est grâce à ces visites que nous connaissons les vocables agenais de la seigneurie. Cependant, la logique des visites nous échappe parfois. En effet, l’évêque d’Agen a visité Savignac juste après Pujols et Puysserampion, faisant ainsi un crochet de plusieurs dizaines de kilomètres, et ne revient en Duraquois que plusieurs jours plus tard, à St-Front. Lors de sa visite, Mascaron visite " logiquement " Savignac après Lubersac.

    Outre Lubersac, trois autres églises ont des vocables peu assurés pour le Moyen Age. Ce sont certainement les hospitaliers, en s’installant à St-Front, qui ont introduit le culte de saint Jean-Baptiste, vocable de l’église en 1520 et 1680. Par contre, nous ne savons pas pourquoi l’église d’Esclottes, qui devait être dédiée à sainte Foy selon son acte de fondation, célèbre finalement saint Blaise. A Ste-Colombe, il faut peut-être faire une distinction entre le patron de l’église, sainte Colombe, dont une fresque raconte la vie sur les murs de l’édifice, et saint Cloud, considéré désormais comme patron de l’église, mais qui n’était à l’origine que le protecteur de la paroisse.

    Pour les autres paroisses, il semble ne jamais y avoir eu de litige quant à leur saint patron : on trouve saint Martin à Auriac, Notre-Dame à Baleyssagues, saint Eyrard dans la paroisse du même nom, tout comme sainte Foy et saint Sernin dans la leur, et saint Vincent à Savignac. De peuplement ou de fondation, toutes ces paroisses relèvent le plus souvent de leur évêque quant à la nomination de leur curé. St-Front est une exception, et il se pourrait que les abbayes de Conques et de St-Ferme nomment aux cures respectives d’Esclottes et de Ste-Colombe. Pour les autres paroisses, et malgré les prétentions des divers possesseurs de prieurés, l’évêque reste ferme sur ses prérogatives.

     

     

     

    II – Les prieurés

     

    La seigneurie comptait quatre prieurés au Moyen Age : à St-Front, Ste-Colombe, Auriac, et bien sûr à St-Eyrard, transféré à Duras.

     

     

     

    A – Le prieuré de Duras

     

    Nous avons déjà évoqué les circonstances du déplacement de ce prieuré, qui existait déjà à la fin du Xe siècle. Dirigé par un prieur dépendant du prieuré bénédictin de La Réole, ce religieux était aidé dans sa tâche par un second moine résidant. Pièce importante de l’organisation de la ville de Duras, une des trois rues principales portait son nom, de même qu’une place à côté du prieuré. Une chapelle se trouvait dans ce prieuré, comme l’indique la visite de l’évêque d’Agen Nicolas de Villars en 1603 : " le prieur est un religieux de La Réole […] qui a fait recouvrir la maison où il y a une chapelle et une cloche qu’il a retiré ". C’est au cour du XVIIe siècle que cette chapelle a été abandonnée puisqu’en 1680 l’évêque Mascaron nous apprend qu " il y a dans la ville une maison qui est celle du prieur où le curé a une portion pour son logement. Dans cette maison il y avait une chapelle qui a été profanée et sert en ce temps en grenier à tenir du bled ". Avant cette forme de déchéance, le prieuré avait eu son " heure de gloire " en accueillant en 1304 l’archevêque de Bordeaux Bertrand de Got. Si son frère Gaillard était certainement déjà seigneur de Duras, ce n’est pas pour lui rendre visite qu’il s’était rendu en Agenais, mais pour visiter sa province ecclésiastique. En effet, le 20 mai 1304, il couche au prieuré de Margueron, à quelques 15 km de Duras, puis visite le prieuré de St-Astier et enfin se rend à Duras, avant de continuer son périple par Lévignac (le 23 mai) et La Sauvetat (24 mai). Nous sommes donc bien en présence d’une visite classique, d’autant que l’archevêque a couché avec sa suite dans le prieuré au dépend de ce dernier. Cela pourrait aussi indiquer qu’alors Gaillard de Got ne se trouvait pas à Duras pour accueillir son frère dans le château.

    Parmi les autres prieurés de la seigneurie, un relève des hospitaliers de Roquebrune, et les deux autres dépendent d’une institution bénédictine, comme à Duras.

     

     

     

     

    B – Les trois autres prieurés

     

    Comme celui de Duras, le prieuré de St-Front existe encore au XVIIe siècle. Dépendant de la commanderie bazadaise de Roquebrune, le prieuré apparaît pour la première fois dans les textes en 1520 (prior Sancti Frontanis). Le curé de la paroisse, nommé par le receveur général des chevaliers de St-Jean de Jérusalem pour la province du Languedoc, partage les dîmes avec le commandeur de Roquebrune.

    La partie bazadaise de la seigneurie possède également un prieuré, situé à Ste-Colombe. Il existait en 1523, et, en 1541, Georges de Lampierre, religieux de Saint-Ferme, en était le prieur. L’abbaye bénédictine de St-Ferme, surnommée " la Banderolle ", fondée au XIe siècle par un certain Frémont de Bordeaux, a cédé ses droits sur Ste-Colombe à l’abbaye Ste-Croix de Bordeaux en 1648.

    Il existait également un prieuré de femmes, à Auriac, dépendant de l’abbaye bénédictine de Fontgaufier en Sarladais. Alors que cette abbaye a été fondée vers l’an 1095 par une femme dénommée Eubolène, le prieuré d’Auriac n’est cité la première fois qu’en 1603 lors de la visite de N. de Villars. On y apprend alors que l’abbesse prétend nommer à la cure, comme le prieur de La Réole à St-Eyrard, et qu’elle a la charge de financer les quatre grandes fêtes annuelles, ce qu’elle ne fait plus.

    Ce sont pourtant ces grandes fêtes du calendrier liturgique qui servent de jalons dans la vie des paysans. A côté de ses derniers, des cultes particuliers se sont organisés dans chaque paroisse.

     

     

    IIIDévotions populaires

    Ces dévotions particulières, outre le culte du patron de l’église ou de la paroisses, se manifestent par l’institution de chapelles et de confréries. Une fois de plus, les visites des évêques d’Agen sont les principales sources.

     

     

     

    A – Les chapelles

     

    Seules deux chapelles sont attestées au Moyen Age, grâce au testament de Gaillard IV de Durfort. Apparaissent une chapelle de Nazareth, à l’intérieur de l’église St-Eyrard, et la chapelle Ste-Marie-Madeleine, prise dans les murailles de la ville. Ces deux fondations sont certainement d’origine seigneuriale, et plusieurs chapellenies y sont attachées. Ainsi, au début du XIVe siècle, dans son testament, Bertrand de Got avait voulu que son héritier qui serait seigneur de Duras, et ses successeurs, puissent nommer aux chapellenies qu’il avait ordonné de fonder dans la chapelle de la bienheureuse Marie-Madeleine de Duras.

    Il existe trois grands types de " chapelles " ; les chapelles avec un autel à l’intérieur de l’église, celles qui consistent en un simple autel à l’intérieur de l’église, et celles pour qui un bâtiment spécifique a été édifié. Les deux premières sont bien sûr les plus nombreuses, nécessitant un financement moindre. Ce n’est qu’à partir des visites épiscopales agenaises du XVIIe siècle que nous pouvons approcher les dévotions populaires du Moyen Age. Nous pouvons penser qu’au XVIe siècle, dans une région très touchée par la Réforme, peu de chapelles ont été fondées. Plusieurs d’entre elles ont même certainement été abandonnées, au point qu’à Auriac par exemple, N. de Villars découvre en 1603 deux autels inutiles. Les dévotions persistantes au début du XVIIe siècle sont donc peut-être celles qui étaient les plus solidement implantées à la fin du Moyen Age, qu’elles aient été importées par les communautés " gavaches ", ou plus anciennes. Par contre, dès 1680, nous voyons que le culte s’est renouvelé dans les églises puisque de nouvelles chapelles sont apparues : saint Antoine à Lubersac, Notre-Dame à Lubersac St-Front et St-Eyrard, saint Joseph à St-Eyrard, etc. Le culte de la Vierge Marie s’est particulièrement développé, recommandé par la Réforme catholique, alors que d’autres dévotions ont disparu (sainte Croix et saint Sébastien à St-Eyrard, sans oublier Nazareth dans cette même église).

    L’abandon des chapelles extérieures à l’église, est encore plus évident. Des six lieux de culte répertoriés en 1603, Ste-Foy et " St-Hulaze " à Lubersac, Notre-Dame et Ste-Marie-Madeleine à St-Eyrard, Ste-Quitterie et une autre chapelle à St-Sernin, un seul lieu de culte est fréquenté en 1680, et encore a t’il été déplacé. Il s’agit de la chapelle de la Madeleine de Duras, pour laquelle on a construit un nouveau bâtiment vers 1650, alors que les seigneurs de Duras se sont réservé l’usage de l’ancien édifice. Parmi ces chapelles, vraisemblablement issues du Moyen Age, et disparaissant au XVIIe siècle, celle de Ste-Quitterie, à St-Sernin, devait être importante. N. de Villars, dans l’intitulé de l’article consacré à la paroisse, écrit " St-Sernin près Duras et Ste-Quitterie ", et précise par la suite que la messe est dite dans cette chapelle, et que la fête de la sainte est votive. Quand Mascaron effectue sa visite, cela fait trente ans que son prédécesseur Claude Joly a interdit qu’on y dise la messe, et une image en bois de la sainte trône désormais sur l’autel de l’église de St-Sernin. Cette chapelle, même disparue, est restée figée par la toponymie. Aussi, on peut se demander si le lieu dit " St-Loubert ", abritant une fontaine, au nord de la paroisse St-Eyrard et à proximité de " la Moulière ", ne correspondait pas également à une chapelle.

    Le culte des saints dans les chapelles s’accompagne souvent de confréries qui leur étaient attachées ; certaines, dites " d’antiquité " par N. de Villars, persistent au début du XVIIe siècle.

     

     

    B – Confréries et fêtes votives

     

    Quatre confréries subsistent au début du XVIIe siècle ; une à Auriac, consacrée au Saint Sacrement, une à Savignac, dédiée au patron de la paroisse, saint Vincent, et deux à St-Sernin, l’une relevant de la Fête-Dieu, et l’autre de sainte Quitterie. Dans cette dernière paroisse, les trois fêtes votives correspondent d’ailleurs au patron de la paroisse, à la Fête-Dieu et à sainte Quitterie. St-Sernin, avec son église rebâtie au XVe siècle, ses nombreuses chapelles et ses confréries, apparaît comme la paroisse la plus pieuse de la seigneurie. Pourtant, elle ne semble pas avoir été épargnée par la Réforme calviniste puisqu’en 1603 le clocher n’a plus de cloche, l’autel est sans autelet, le cimetière autour de l’église est tout ouvert et les fonds baptismaux sont rompus. En 1680, si le cimetière est réconcilié, et que l’on dénombre cinq-cents catholiques, soixante-dix " hérétiques " habitent toujours la paroisse.

     

    Essayer de percevoir la vie du peuple duraquois n’est pas une entreprise aisée. Occupée en grande partie par la culture de la terre, elle ne laissait pas la place à beaucoup d’autres activités que l’artisanat, complément de l’agriculture. La guerre de Cent Ans a certainement considérablement désorganisé l’organisation du territoire. Si repeuplement qui s’opère dès la fin du XVe siècle n’a certainement que très peu modifié le paysage, il a permis aux terres d’être à nouveau cultivées et aux édifices d’êtres entretenus. Ces édifices, ce sont bien sûr les habitations des paysans, mais aussi les églises et autres chapelles. La part des cultes nouveaux apportés par les nouveaux arrivants est difficilement visible, les guerres de Religion et la Réforme catholique ayant été les vrais vecteurs d’une spiritualité nouvelle.

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    CONCLUSION

     

     

    L’étude de l’occupation du sol, du peuplement et de l’histoire en général de la seigneurie de Duras est très inégalement accessible. Pour les premiers hommes qui vécurent dans cet espace, nous ne pouvons qu’émettre quelques hypothèses soumises aux découvertes archéologiques. Pour ceux qui structurèrent l’espace en paroisses, nous ne possédons pas plus de textes. Ils effectuèrent pourtant un travail colossal échelonné sur plus de cinq siècles afin de dessiner les paysages duraquois. D’autres structurations, foncières et banales, vinrent se greffer à la première. C’est alors qu’apparurent Duras et ses seigneurs. Seigneurs impliqués dans tous les conflits du Moyen Age, faisant connaître le nom de Duras à l’ouest européen, mais provoquant également le siège de Duras de 1377, et le massacre de tous les habitants du bourg. Si les seigneurs de Duras, dès le Moyen Age, furent des barons estimés et craints, ils n’eurent pas tous les mêmes relations avec leur seigneurie éponyme. Certains y vécurent, d’autres n’y passèrent peut-être jamais. Les paysans étaient finalement les vrais possesseurs de cette terre, ne connaissant souvent aucun autre horizon. Leur mortalité fut si forte à la fin du Moyen Age, que leur seigneur dut faire appel à des " colons " pour éviter que la si longue mise en valeur du territoire fut réduite à néant par manque de population. Etudier l’occupation du sol, le peuplement et l’histoire des seigneurs constitue donc un tout indivisible, si l’on veut tenter d’approcher la vie de notre pays et de nos ancêtres.

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